Le Fils de Pardaillan
l’attirail de la repasseuse de fin, avec sa grande table encombrée de lingerie amidonnée, et les flots de dentelles et de dessous luxueux, bien empesés, étendus sur des cordes.
Avant d’entrer, Perrette, en ménagère avisée et en femme de tête, avait appelé une de ses ouvrières, forte gaillarde d’une cinquantaine d’années, moitié lavandière, moitié servante, qui répondait au nom de Martine. Discrètement, Perrette lui avait donné des instructions.
Jehan, tout étourdi encore, n’y fit pas attention, et d’une voix qu’il s’efforçait de rendre joyeuse, mais qui était émue malgré lui, il s’écria :
– Comment es-tu arrivée si fort à propos pour me sauver ?… Car je te dois la vie… Perrette. Sans toi, c’en serait fait de Jehan le Brave.
– Bon, fit-elle avec cet air sérieux qui lui était particulier, quand vous sauvez la vie aux autres, vous ne le criez pas si haut, monsieur… Faut-il faire tant de bruit pour une porte ouverte à propos ?
Jehan se mit à rire pour cacher son embarras.
– Enfin, reprit-il, comment t’es-tu trouvée là ? Que fais-tu ici ?
– Mais, monsieur, je suis chez moi, ici !
– Ah bah !… Tu as donc quitté Paris pour la campagne ?
– Vous le voyez bien.
– Tu as donc fait fortune ?
– Non, mais mon frère m’a donné une grosse somme avec laquelle je me suis établie. Mes affaires vont très bien… Si cela continue, je deviendrai trop riche.
– Ce n’est pas ce qui te fera perdre ton petit air sérieux et tranquille, observa Jehan en riant de bon cœur.
– Faut-il que je me mette à danser comme une folle parce que j’ai eu la chance de trouver quelques bonnes clientes ?
– La chance !… la chance !… dis plutôt : ta gentillesse, ton travail acharné, ton…
– Vous feriez bien mieux, interrompit Perrette, de ne pas vous agiter ainsi. Ne pourriez-vous vous asseoir tranquillement… Il me semble que vous devez en avoir besoin…
– Eh mais ! interrompit à son tour Jehan, que fabriques-tu là ?
– Vous le voyez : des compresses, de la charpie.
– Pourquoi faire ? bon Dieu !
– Pour vous soigner, monsieur.
– Mais je n’ai rien ! protesta énergiquement Jehan.
– Qu’en savez-vous ? Qui vous dit que vous n’êtes pas blessé plus sérieusement que vous ne pensez ?
– Je le sens bien, cornes de veau !
– C’est ce que nous verrons ! fit Perrette, avec une douce obstination.
– Et celle-ci, que fait-elle ? fit Jehan, en désignant Martine, qui s’activait de son côté.
– Elle dresse un lit pour vous reposer. Elle prépare un repas pour vous restaurer. Si toutefois vos blessures vous permettent de manger.
– Tu penses donc que je vais me goberger ici ? fit Jehan avec une indignation comique.
Elle le regarda de son air sérieux, et sans émotion apparente :
– Durant des semaines et des semaines, vous nous avez soignées, ma mère et moi, sans une seconde de défaillance. Si je suis vivante, c’est à vous que je le dois… Et je ne vous suis rien, quoique vous m’appeliez votre petite sœur. Durant des années nous nous sommes gobergées à vos dépens… Quand j’aurai passé quelques heures à vous soigner à mon tour… quand vous vous serez reposé quelques jours ici, pensez-vous que, pour si peu, je me jugerai quitte envers vous, monsieur ?
– Mais je ne veux pas !…
– Prenez garde !… dit-elle vivement sur un ton de dignité extraordinaire, on pourrait croire que vous méprisez des petites gens comme nous.
– Tu ne le crois pas ! protesta Jehan.
– Alors, venez, que je visite vos blessures.
– Jehan la considéra une seconde avec attendrissement et très doucement :
– Merci de tout mon cœur, ma petite Perrette, mais, vois-tu, je n’ai pas le temps de m’occuper de ces bagatelles… A présent que me voici reposé, il faut que je parte.
Les doigts de Perrette se crispèrent sur les linges qu’elle tenait. Avec un petit soupir, elle posa ces linges sur le coin de la table et, avec cette moue de la bonne ménagère qui déplore d’irréparables dégâts :
– Vous en aller tel que vous voilà ?… Vous n’y pensez pas. Mais regardez-vous donc, monsieur… Voyez votre pourpoint tailladé… Vos hauts-de-chausses en charpie… A quoi ressemblez-vous ?… Sans compter que vous êtes couvert de sang.
Jehan jeta un coup d’œil piteux sur ses vêtements en loques. Etant donné l’état de ses finances,
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