Le Fils de Pardaillan
change les idées.
– C’est vrai, avoua franchement Ravaillac, il me semble que je ne suis plus le même.
– Dis-moi, tu t’es confessé au père d’Aubigny. Que t’a dit le jésuite ?
A cette question plus qu’indiscrète, Ravaillac se rembrunit et non sans amertume :
– Il m’a dit que mes visions n’étaient que des imaginations. Il m’a dit qu’il ne fallait plus songer à tout cela. Il m’a conseillé de boire et bien manger et de retourner dans mon pays. Il m’a donné un sou, qu’il a emprunté.
– Il a raison, fit vivement Parfait Goulard. Ce père d’Aubigny est un honnête homme.
Et relevant son froc, il sortit une bourse qu’il vida sur la table. Elle contenait une vingtaine d’écus, somme considérable pour un pauvre moine. Il plaça dix écus devant Ravaillac ébahi et expliqua sans désemparer :
– Mais un sou pour aller d’ici à Angoulême, c’est vraiment un peu maigre. Prends ces dix écus, je te les donne de grand cœur.
– Pourquoi faire ? demanda Ravaillac tout éberlué.
– Comment, pourquoi faire ?… Mais pour t’en retourner dans ton pays, malheureux. D’Aubigny a raison, je te le répète. Il faut chasser toutes ces imaginations diaboliques de ton esprit, Ravaillac.
Et avec une émotion qui toucha profondément le sombre visionnaire, il ajouta :
– Retourne chez toi, Jean-François, crois-moi. Tu trouveras là la paix de ta conscience et le bonheur. Tu te marieras, tu auras des enfants, une famille, un foyer, tu seras enfin un homme comme tous les autres hommes.
Il y eut une longue discussion entre les deux hommes, Ravaillac s’obstinant à rester à Paris, sans dire toutefois pourquoi. Parfait Goulard se montra éloquent, et grâce peut-être à quelques nouveaux verres de vieux vin, il finit par triompher de sa résistance. Ravaillac accepta les dix écus et promit de partir le lendemain pour Angoulême. Le moine, ayant obtenu ce qu’il voulait, se leva incontinent, régla la dépense et entraîna son compagnon jusqu’à son auberge des
Trois-Pigeons
où il le quitta après l’avoir tendrement embrassé.
Il était à ce moment environ dix heures et demie. C’était le moment où Jehan le Brave quittait son logis de la rue de l’Arbre-Sec.
Pardaillan suivait toujours. Seulement, il était de plus en plus déçu et il songeait :
« Voici qui est étrange !… J’aurais juré que ce moine excitait ce malheureux détraqué au meurtre du roi… et voici que c’est tout le contraire… voici qu’il le renvoie dans son pays !… Me serais-je trompé à ce point ?… »
A force de tourner et retourner la question dans son esprit, il finit pas se dire :
« Ne serait-ce pas que ce Ravaillac est devenu inutile ? En ce cas, ils auraient donc un autre instrument sous la main ?… Un autre instrument plus sûr, plus décidé… tout prêt à agir… qui agit peut-être en ce moment… Diable ! diable !… Comment savoir ? Morbleu !… »
Parfait Goulard était revenu vers la porte de la ville. Il allait lentement, comme s’il avait attendu quelqu’un. Il ne chantait plus, il s’efforçait de passer inaperçu.
Comme il approchait de la porte, un carrosse, sans escorte, en sortit. Il s’arrêta et le suivit des yeux. Le carrosse longea le « palmail » dont nous avons parlé et alla s’arrêter derrière la butte, au-dessous des deux moulins qui la couronnaient.
Parfait Goulard revint encore une fois sur ses pas, jusqu’à l’auberge des
Trois-Pigeons.
Nous avons dit que cette auberge était située à peu près en face de la chapelle Saint-Roch.
A l’époque où se déroulaient les événements que nous avons entrepris de conter, cette chapelle était placée sur une éminence, pas tout à fait au centre d’un vaste quadrilatère.
Le côté de ce quadrilatère qui longeait le faubourg et celui qui faisait face au mur d’enceinte étaient entièrement couverts de maisons. Celui qui regardait la butte Saint-Roch ne l’était qu’à moitié, et du côté de la ville. L’autre moitié, ainsi que tout le quatrième (celui qui regardait la campagne, à l’ouest) qui portait le nom de rue de Gaillon, étaient nus. Là, la terre était maintenue par un mur de soutien assez élevé. Ce mur s’arrêtait au ras du sol. En sorte que cela formait comme une espèce de terrasse du haut de laquelle on voyait jusqu’à l’entrée du couvent des capucins et même plus loin.
La chapelle se dressait donc isolée sur
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