Le Fils de Pardaillan
c’était le gibet. Si le carrosse ne se brisait pas contre ces deux obstacles, plus rien ne se trouvait pour lui barrer la route. C’était la culbute inévitable, le saut dans la rivière, la mort certaine.
Pardaillan et son fils lancèrent leurs montures sur le jardin de la reine. Ils le traversèrent en trombe, sans s’occuper, comme bien on pense, des dégâts qu’ils causaient dans les parterres admirablement entretenus. En galopant, Pardaillan, qui se trouvait à la gauche de son fils, expliquait avec son calme imperturbable :
– Nous piquons droit aux fourches. Nous y arriverons avant le carrosse. Nous sautons à terre et nous l’attendons. Nous bondissons ensemble à la tête des chevaux. Je prends celui de gauche ; vous, celui de droite.
– Bien monsieur.
Jehan le Brave, qui ne recevait d’ordre de personne, trouvait tout naturel que Pardaillan prît la direction et commandât.
Pardaillan, très froid, comme toujours au moment de l’action, jeta un coup d’œil sur lui, à la dérobée. Il le vit aussi froid, aussi résolu qu’il était lui-même. Et il eut un mince sourire de satisfaction.
Du carrosse cependant, on avait aperçu les deux cavaliers. Deux bustes émergèrent de la portière. Deux voix crièrent :
– A l’aide !… A nous !…
– Le roi !… sauvez le roi !…
Henri IV n’était pas seul dans le carrosse. Il avait avec lui les ducs de Bellegarde et de Liancourt. Deux ennemis de Concini. Les deux ducs appelaient à l’aide. Le roi ne se montrait pas.
– Courage !…
– On vient à vous ! répondirent Pardaillan et Jehan en même temps.
La manœuvre s’accomplit comme l’avait indiqué Pardaillan. Les deux cavaliers atteignirent le gibet avant le carrosse. Ils sautèrent à terre et se placèrent résolument sur sa route, bien calés, repliés sur eux-mêmes, prêts à bondir. Pardaillan avait expliqué en quelques mots ce qu’il fallait faire.
Les chevaux, à une allure vertigineuse, venaient droit à eux. Le cocher, qui n’avait pas perdu son sang-froid, voyant ces deux braves et quelle était leur intention, s’efforçait de leur venir en aide en brisant à coups de saccades réitérées la résistance opiniâtre de ses bêtes.
Le roi avait mis la tête à la portière. Il voulait voir. Il était très pâle, mais il avait toute sa présence d’esprit. Il ne prononça pas une parole, mais il se disait :
« Ces deux malheureux vont se faire écraser… inutilement ! »
Au même instant les chevaux arrivaient à la hauteur des deux hardis gentilshommes. Ils bondirent en même temps. D’une main ils se cramponnèrent aux guides ; de l’autre, ils étreignirent les naseaux fumants. Ils ne cherchèrent pas à immobiliser les bêtes. Ils ne se laissèrent pas traîner non plus. Simplement, ils se mirent à courir à côté.
Seulement, les poignes de fer meurtrissaient les naseaux. Henri IV, qui se trouvait du côté de Jehan, vit le cheval secouer frénétiquement la tête, cherchant à se débarrasser de cette entrave vivante, puis il hennit de douleur.
L’espace d’une quarantaine de pas, les deux hommes durent courir ainsi, suspendus aux naseaux des chevaux qui, meurtris par l’étreinte puissante, hennissaient de douleur, ralentissaient de plus en plus l’allure.
– On peut sauter sans danger, fit remarquer le duc de Bellegarde. Et il implora aussitôt : Au nom du ciel, Sire, descendez.
En même temps, il ouvrait la portière pendant que le duc de Liancourt appuyait.
– Ces deux braves n’auront certainement pas la force d’arrêter ces quatre bêtes furieuses. Descendez, Sire, descendez.
C’était ce que pensait aussi Henri IV. Sans discuter, il sauta à l’instant. Il le fit d’ailleurs sans précipitation, posément, adroitement.
– Ouf !… il était temps ! murmura-t-il, quand il se vit à terre. Liancourt et Bellegarde, pâles et défaits, n’attendaient que ce geste. Ils se hâtèrent de le suivre avec un soupir de soulagement.
Ils auraient aussi bien pu attendre tranquillement dans le carrosse, car, quelques secondes plus tard, les deux bêtes domptées, tremblant de tous leurs membres, couvertes d’écume, s’arrêtaient.
Il fallut alors que Pardaillan et son fils allassent mater de même les deux timoniers qui ruaient, se cabraient, cherchaient à passer par-dessus les deux premiers. Ce fut l’affaire de quelques secondes. Maintenant, l’accès d’ivresse furieuse étant passé, les pauvres
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