Le Fils de Pardaillan
fait dans je ne sais quelle intention tortueuse… terrible, peut-être… et alors, je sens la haine me soulever, et j’ai des envies furieuses de te tuer !…
Avec un calme glacial, Saêtta dit :
– Qui t’arrête ?… Tu as ton épée, j’ai la mienne… Je fus ton maître, mais depuis longtemps tu m’as surpassé… Je ne pèserai pas lourd contre toi.
– Enfer ! rugit Jehan le Brave, c’est cela précisément qui m’arrête !… Je ne suis pas un assassin, moi !… C’est la seule chose que tu n’as pas réussi à faire de moi !…
Le sourire de Saêtta se fit plus aigu, plus équivoque, si possible. Et brusquement, changeant de physionomie, avec une bonhomie qui conservait malgré lui on ne sait quoi de louche :
– Tu es d’une nature trop impressionnable, dit-il, ce n’est pas ta faute… Tu es ainsi… Moi, je suis rude, violent, affligé d’un physique qui n’inspire pas la sympathie… Ce n’est pas ma faute… Je suis ainsi…
Bravo,
j’ai fait de toi un
bravo…
Pouvais-je prévoir que tu aurais un jour des délicatesses de gentilhomme ?… Je ne puis te parler un langage qui n’est pas le mien…
Et soudain, fixant sur lui un regard étrange, avec une émotion que trahissait le tremblement de la voix :
– Cependant, je me suis attaché à toi… Tu es… oui, tu es le seul lien qui me rattache à la vie… Je n’ai plus que toi… Et comme je ne veux pas te perdre, je m’efforcerai d’adoucir mes manières pour toi… Je ne peux pas mieux te dire.
L’effort qu’il venait de faire était évident, et cependant, celui à qui il parlait, celui pour qui cet effort était accompli, parut ressentir une sensation d’angoisse. Sur ce visage étincelant, où toutes les sensations se lisaient comme en un livre ouvert, une expression de malaise se répandit soudain. On voyait qu’il était touché et qu’il cherchait une bonne parole… Cette parole, il ne la trouvait pas. Pourquoi ?
Comme s’il eût compris, Saêtta ébaucha son énigmatique sourire et, changeant brusquement la conversation :
– Tu ne m’as pas dit ce que tu cherchais, ce que tu espérais ? Jehan se frappa le front :
– Qui je cherchais ? fit-il d’une voix ardente. Un insolent qui… Mais d’abord, tu connais ma force musculaire, n’est-ce pas ? Tu as cru, et moi-même je le croyais, que personne n’était de taille à me résister !… Eh bien, ici, dans cette rue, je me suis heurté à quelqu’un qui m’a saisi… et je n’ai pu me dégager de cette étreinte…
– Oh ! s’exclama Saêtta avec une véritable émotion, que dis-tu là ?… Je ne connais qu’une personne au monde qui soit de force…
– Tu connais quelqu’un qui est plus fort que moi ?
– Oui.
– Son nom ?…
– Le chevalier de Pardaillan.
– Tripes de Satan !… C’est lui !… C’est mon insolent.
– Oh oh ! fit Saêtta, et rien ne saurait traduire tout ce que contenaient de sous-entendus ces deux simples onomatopées. Tu connais Pardaillan ?… Tu l’as vu ?… C’est lui que tu cherches ?… pour te battre, pour le tuer, hein ?… Parle donc !
Et cette fois, son émotion était si violente, que Jehan en fut bouleversé.
– Je l’ai rencontré tout à l’heure, je te l’ai dit.
–
Porco dio !…
Cela devait arriver… Et tu vas te battre, nécessairement ?
– Oui.
– Quand ?
– Demain matin.
– Dieu soit loué !… Je t’ai rencontré à temps !
– Enfer !… M’expliqueras-tu ?…
– Rien que ceci : Pardaillan t’a saisi et tu n’as pu te dégager… Si tu croises le fer avec lui, il te tuera…
– Me tuer, moi ! Allons donc !
– Je te dis que Pardaillan est le seul homme au monde qui soit plus fort que toi… Mais je ne veux pas qu’il te tue, moi !… Non,
per la Madona !…
Demain matin, m’as-tu dit ?… Répète… C’est demain matin que tu dois te battre avec lui ?…
– Oui, fit Jehan, stupéfait.
– Bon !… Alors je suis tranquille, fit Saêtta, qui paraissait se calmer.
– Tu es tranquille ?… pourquoi ?… Que veux-tu dire ?…
– Simplement ceci : demain matin, Pardaillan ne pourra plus rien contre toi !
– Etrange ! murmura le jeune homme. Quelle émotion !… Jamais je n’ai vu Saêtta aussi ému… Mais alors ?… Il m’aime donc ?… Oui, sans doute… Sans quoi il ne tremblerait pas ainsi pour moi !… Je m’y perds… Serais-je décidément mauvais ?…
Et tout
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