Le Fils de Pardaillan
devant la maison de la jeune fille, il a vu un homme sur le perron. Il a cru que c’était le roi. Il a frappé. Ce n’était pas le roi. L’homme doit la vie à un brusque mouvement qu’il a fait à l’instant précis où le bras s’abattait sur lui. La lame du couteau s’est brisée sur une marche.
– Qui est cet homme ?
– Jehan le Brave.
– Le fils de Fausta !… Comment se trouvait-il là ?… Et le roi ? N’est-il donc pas venu ?…
– Jehan est amoureux de la jeune fille. Ceci explique sa présence sous ce balcon. Je ne saurais dire si le roi est venu ou non. Mes instructions étant de me tenir le plus loin possible du lieu où l’événement devait se produire, j’étais à ce moment rue Saint-Antoine, dans une taverne où l’on m’a vu me griser indignement. Quant à Ravaillac, que j’ai rejoint plus tard, je ne le crois pas mieux renseigné que moi.
Acquaviva réfléchissait profondément.
– Il y a quelque chose d’obscur, fit-il en redressant sa tête pâle. Sans doute trouverai-je des éclaircissements dans les rapports qui vont me parvenir. Ce Ravaillac reste-t-il toujours dans les mêmes intentions ?
– Je réponds de lui, dit Goulard avec un sourire livide.
– Bien. Suggérez-lui de se confesser à un jésuite notoire… Au père d’Aubigny, par exemple.
– C’est facile.
– D’Aubigny recevra des instructions à ce sujet. Quant à vous, il faudra redoubler d’adresse et de persuasion… Je vous avertis que les conseils de d’Aubigny contrarieront vos suggestions. Comprenez-vous ?
– Oui, monseigneur. Vous voulez, au cas où des soupçons se produiraient, pouvoir prouver que les jésuites se sont efforcés de détourner ce malheureux de sa criminelle folie. Quant à frère Parfait Goulard, il n’est pas jésuite, lui. Et, au surplus, cent témoins dignes de foi attesteront qu’il a toujours conseillé au meurtrier de retourner dans son pays et d’y vivre dans le calme et le repos.
Acquaviva approuva d’un signe de tête, et :
– Ce n’est pas là tout ce que vous aviez à me dire, je présume.
– En effet, monseigneur, il y a autre chose. Le fils de Fausta s’est rencontré avec son père, M. le chevalier de Pardaillan, cette nuit même, chez le duc d’Andilly.
La manière dont Acquaviva dressa la tête au nom de Pardaillan, la vivacité avec laquelle il demanda des explications attestèrent l’importance qu’il attachait à cette nouvelle.
– En êtes-vous bien sûr ?… Comment le savez-vous ?… Dites ce que vous avez appris sans omettre aucun détail, dit-il.
– Le hasard, monseigneur, expliqua Parfait Goulard. Je venais de ramener chez lui Ravaillac, qui m’avait donné beaucoup d’inquiétude, à cause que, pris d’un subit accès de découragement et de sombre désespoir, il parlait de s’aller jeter dans la rivière du haut du Pont-Neuf.
– Pourquoi ce désespoir ? s’informa Acquaviva avec intérêt.
– C’est une nature exceptionnellement impressionnable. Il paraît qu’il s’est pris d’une grande amitié pour Jehan le Brave, et il se reprochait comme un crime d’avoir failli tuer son ami, qu’il avait pris pour le roi.
– La cause de cette amitié ?
– Je n’ai pu la connaître, monseigneur. Il m’a vaguement parlé de services… Sorti de ses hallucinations, il ne dit que ce qu’il veut bien dire.
Acquaviva griffonna quelques lignes sur ses tablettes, et le poinçon levé :
– Vous êtes sûr, dit-il, qu’il ne donnera pas suite à ce malencontreux projet de suicide ?
– Je crois avoir réussi à le dissuader.
– Mais vous n’en êtes pas sûr, fit Acquaviva.
Il ajouta quelques nouveaux signes à la suite des précédents et expliqua :
– Je le ferai tancer vertement par son confesseur. Revenons à MM. de Pardaillan père et fils.
– Donc, monseigneur, reprit Goulard, en quittant notre homme, j’ai rencontré un groupe escortant une jeune femme. J’ai immédiatement reconnu Jehan et trois sacripants qui lui sont dévoués corps et âme.
– Et la jeune femme ?
– Il m’a été impossible d’apercevoir ses traits… J’ai passé sans avoir l’air de remarquer le groupe… et je suis revenu sur mes pas. Jehan et la jeune femme étaient entrés chez M. d’Andilly. Je me suis mis en observation. J’ai vu sortir M. de Pardaillan et, plus tard, Jehan. La jeune femme est donc restée chez le duc.
– Puisqu’ils ne sont pas sortis ensemble,
Weitere Kostenlose Bücher