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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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là ?
    — Puis-je vous demander qui vous êtes, Monsieur ?
    — Très volontiers. Je me nomme René Le Prestre de Châteaugiron. Vous êtes venu chez moi ce matin et je crois que vous y avez éprouvé une grande émotion… si j’en juge du moins ce que je vois. Votre justice est redoutable chevalier… et plutôt expéditive.
    Avec la nonchalance d’un amateur de pièces rares visitant un musée, le châtelain de Trecesson s’en alla contempler le cadavre du Tudal, toujours accroché à sa poutre puis jeta un coup d’œil au joueur de biniou déjà raidi dans sa flaque de sang qui se coagulait. Mais Gilles sur la défensive se raidit.
    — Après le drame qui s’est déroulé sur vos terres, Comte, trouvez-vous que ma main ait été trop lourde ?
    — En aucune façon, mon ami… vous permettez que je vous appelle ainsi ? Il y a longtemps que ces gredins méritaient le dernier supplice. J’en arrive même à penser qu’il eût été dommage que ma femme eût réussi à vous rappeler. D’ailleurs, si je suis venu jusqu’ici, c’était uniquement pour vous prêter main-forte, non pour m’opposer en quoi que ce soit à vos desseins.
    — Et cependant vous avez laissé Morvan m’échapper si je vous ai bien compris ?
    — Mon Dieu, oui ! Je ne voulais pas perdre, à lui courir après, un temps qui pouvait être précieux. Songez que j’ignorais ce qui s’était passé dans cette maison. Et puis, sincèrement, je crois que la mort… momentanée, de cette pauvre et ravissante enfant est convenablement vengée maintenant. Laissez donc Morvan aller se faire pendre où il voudra. De toute façon cela ne tardera guère.
    — La mort… momentanée ! Songez-vous, Monsieur, à ce que vous dites ? Votre ton est bien léger pour ce drame !
    — J’y songe, chevalier, je ne songe même qu’à cela. C’est… un sac de sable qu’à la demande expresse de Mademoiselle de Sainte-Mélaine, nous avons enterré dans notre chapelle… Elle nous a fait jurer de garder le secret pour préserver une vie que Dieu lui avait conservée par miracle. Ce matin, devant votre bouleversement, ma femme qui vous avait conduit à la chapelle pour vous mettre à l’épreuve, a failli tout vous dire. Elle a couru après vous, elle vous a rappelé… mais vous étiez déjà loin…
    La tête bourdonnante, à demi étouffé par cette joie trop forte après tant de douleur, Gilles dut s’appuyer au manteau de la cheminée, à deux doigts de l’évanouissement. Judith ! Judith… pouvait-elle donc être encore vivante ?
    — Eh bien ! fit le comte en riant. Vous n’allez pas maintenant vous pâmer comme une jouvencelle ? Si vous voulez m’en croire, nous allons quitter ce vilain endroit. Mes gens que j’ai laissés dehors vont se charger… du ménage et nous, nous allons rentrer à la maison. Ma femme vous y attend ainsi qu’un bon souper et un bon lit. Nous causerons chemin faisant… Mais, que cherchez-vous sous cette table ? Si c’est une assez belle fille avec un œil poché qui s’y tenait tapie avec un énorme pistolet je vous préviens qu’elle en est sortie depuis cinq bonnes minutes et qu’elle s’est enfuie en courant comme une folle… Je lui ai peut-être fait peur…
    Les couleurs revenaient lentement au visage de Gilles qui esquissa un pâle sourire.
    — Non. Mais elle est comme les bons soldats. Quand le combat est terminé, ils regagnent leurs quartiers sans rien demander à personne ! J’irai la voir avant de quitter le pays !
     
     
    Une fois de plus la marée descendait. Une grosse marée de fin d’hiver, puissante et gonflée, qui entraînait vers l’océan les eaux bleuâtres du Blavet… Debout, près du nid d’herbes folles où jadis pêchait un petit paysan aux pieds nus, le chevalier de Tournemine regardait les barques aux voiles rouges descendre l’une derrière l’autre pour la pêche de nuit. Tout était comme autrefois et pourtant rien n’était plus pareil.
    De l’autre côté de cette eau infinie il avait conquis tout ce qu’il lui était humainement possible de conquérir… tout sauf l’Amour qu’ici même le Destin lui avait donné. Tout était comme autrefois mais aucune chevelure de flamme ne faisait flotter ses algues rouges dans les eaux limoneuses, mais aucune petite voix impérieuse ne lui jetterait des injures à la tête.
    — Judith ! murmura-t-il tendrement, Judith arrogante et pitoyable, sage et folle, tendre et cruelle… où es-tu donc,

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