Le Huitième Péché
minute.
Le banquier se leva de son bureau aux pieds en inox d’une propreté irréprochable, et disparut.
Malberg réfléchit à l’attitude à adopter en cas de refus. Mais il n’eut pas le temps de trouver une solution, car Janik ne tarda pas à revenir.
— Je connais votre sérieux dans les affaires, commença-t-il sur un ton amical dont il n’était pas coutumier. Bien que nous ne puissions pas vérifier votre évaluation, nous vous faisons confiance. Je viens de recevoir de la direction le feu vert pour vous accorder un crédit à hauteur de deux cent cinquante mille euros pour douze mois au taux du jour – mais à une condition !
— Laquelle ?
— Que vous proposiez à notre banque les fleurons de cette collection à prix préférentiel.
Malberg ne savait plus que penser. Il regarda attentivement Janik pour vérifier que le banquier ne plaisantait pas.
Ce regard n’échappa pas à Janik.
— Ma générosité vous étonne peut-être.
— Pour être franc, oui.
— Permettez-moi de vous dire que notre politique d’investissements s’oriente de plus en plus vers le marché de l’art et des antiquités. L’époque de la croissance à deux chiffres sur le marché immobilier est révolue. Les œuvres d’art les plus remarquables appartiennent aujourd’hui soit à l’État, soit aux grandes banques. Parallèlement à l’investissement, l’image de l’entreprise joue un rôle non négligeable. Sous quelle forme voulez-vous les deux cent cinquante mille euros ? En espèces ou préférez-vous un chèque de banque ?
— Un chèque de banque, répondit Malberg presque gêné.
Il n’aurait jamais envisagé que la négociation se déroulerait aussi facilement.
Lorsqu’il se remémorait les réticences de Janik chaque fois qu’il avait fait une demande de crédit par le passé, il avait du mal à croire à son bonheur. Toujours est-il que Malberg quitta la banque une demi-heure plus tard en possession de son chèque d’un montant de deux cent cinquante mille euros.
Avant de reprendre l’avion pour Rome, Malberg se rendit à sa librairie dans la Ludwigstraße afin de s’assurer que tout allait bien. Mademoiselle Kleinlein, une bibliothécaire diplômée proche de la retraite, dirigeait l’affaire depuis près de dix ans. Son apparence physique n’était pas nécessairement un atout commercial, mais ce manque à gagner était largement compensé par ses compétences. Elle savait identifier tous les imprimeurs du quinzième siècle à la typographie qu’ils employaient, et elle connaissait toutes les éditions parues dans les cinquante premières années consécutives à l’invention de l’imprimerie. Et comme on en comptait deux mille, ce n’était pas rien.
Lorsque Malberg entra dans sa librairie, mademoiselle Kleinlein – c’était elle qui tenait à ce qu’on l’appelât ainsi – s’occupait d’un client qui s’intéressait à un missel enluminé datant du seizième siècle. Malberg l’avait acheté lors d’une vente aux enchères en Hollande, il y avait de cela trois ou quatre ans, et, chose curieuse, ce livre n’avait pas à ce jour trouvé d’acquéreur.
Mademoiselle Kleinlein était en train de vanter avec force patience et rhétorique l’intérêt des gravures en couleurs et des textes. Pendant ce temps, dans le bureau, Malberg jeta un œil au bilan hebdomadaire. Il savait d’expérience que le mois d’août était le plus creux de l’année, car les conservateurs de musées et les collectionneurs étaient en vacances.
La discussion était toutefois laborieuse. Prêtant une oreille distraite à ce qui se disait, Malberg eut l’impression que le client hésitait à dépenser quatre mille euros.
— Excusez-moi de vous interrompre, dit-il en sortant du bureau, mais vous avez là un missel extraordinairement bien conservé. Regardez ces gravures magnifiques ! Les couleurs sont d’époque, nous les avons examinées à la lampe à quartz. Pour ce qui est du prix, je suis prêt à faire un effort. Disons trois mille cinq cents !
Malberg feuilletait avec précaution le précieux livre. Ce faisant, il enregistra inconsciemment les dates indiquées pour les évangiles dans la sainte messe : sexagima , oculi , lætare . Il marqua un temps d’arrêt et tira de la poche de sa veste le petit carnet de Marlène, sous le regard interrogateur de mademoiselle Kleinlein. Le client décida d’acheter le livre, mais Malberg ne s’intéressait déjà plus
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