Le Huitième Péché
ralentir. Venant du nord-ouest, ils virent atterrir une succession d’avions, volant parfois si bas qu’Alberto rentrait instinctivement la tête dans les épaules.
Parmi les trois personnages, il en était un qui, plus que les autres, souffrait de ce silence prolongé : c’était Soffici. Il se creusait la cervelle pour comprendre les causes de leur mutisme. Était-ce la honte qui les privait de l’usage de la parole, ou bien l’incompréhension face aux événements auxquels ils s’étaient tous trois retrouvés mêlés. Soffici eut un soupir de soulagement lorsqu’Alberto stoppa la voiture à la dépose-minute, devant l’aérogare A. Gonzaga sortit sans dire un mot. Il se contenta de hocher la tête en silence lorsqu’Alberto sortit sa petite valise du coffre et la lui tendit. Le cardinal disparut derrière les portes vitrées du hall tandis qu’Alberto et Soffici reprenaient la route.
Gonzaga était en possession de deux billets simples. L’un était au nom du dottore Fabrizi, l’autre à celui de Mr. Gonzaga. L’un était valable pour un vol Francfort-Milan, l’autre pour un vol Milan-Rome. Gonzaga avait tout prévu.
L’hôtesse du guichet Alitalia lui conseilla de se dépêcher. Sur le grand panneau d’affichage, les petites lampes vertes signalant l’embarquement en cours clignotaient déjà. Gonzaga hâta le pas. Pas question de rater l’avion. Il arriva à la dernière minute à la porte 36 et embarqua dans un Boeing 737, en classe affaires. L’avion était à moitié vide.
D’interminables minutes s’écoulèrent encore avant que l’appareil ne se mette en branle pour prendre la file des avions attendant l’autorisation de décoller. Lorsque le Boeing décolla enfin, le cardinal éprouva un sentiment de délivrance.
L’anxiété des derniers jours fit place à du soulagement. Le cauchemar se terminait enfin.
Après une ascension rapide, le Boeing prit la direction du sud. Gonzaga regardait tranquillement par le hublot. La bouche d’aération sifflotait au-dessus de lui. Le signal indiquant de maintenir sa ceinture attachée s’éteignit enfin, et le cardinal s’assoupit. Une grosse fatigue s’abattit sur lui, conséquence de la responsabilité qui avait pesé sur ses épaules pendant les deux derniers jours. Il essaya de s’endormir vraiment.
— Puis-je vous parler ?
Dans un demi-sommeil, Gonzaga entendit la voix de l’homme assis à côté de lui, qu’il n’avait pas encore remarqué. Pendant le décollage, le siège était vide, mais il était à présent occupé. Gonzaga le regarda et eut un mouvement de recul. L’inconnu portait un chapeau qui dissimulait en partie seulement son cuir chevelu marbré de cicatrices violacées laissées par des brûlures. Il n’avait ni cils ni sourcils.
— Je voudrais vous proposer une affaire, dit à voix basse l’homme défiguré.
— Une affaire ? répéta Gonzaga en fronçant les sourcils. Merci, je ne suis pas…
L’homme lui coupa la parole.
— Si vous avez à cœur de préserver notre sainte mère l’Église de la catastrophe, alors vous feriez bien de m’écouter, monsieur le cardinal.
— Écoutez-moi bien : je ne sais pas ce que vous me voulez et je ne comprends pas pourquoi vous m’appelez « monsieur le cardinal ». Alors, je vous en prie, laissez-moi tranquille !
Incrédule, l’homme secoua la tête. Ce faisant, il agita quelque chose dans sa main que Gonzaga prit d’abord pour un anodin bout de plastique.
— Monsieur le cardinal, cessons ce petit jeu. Un costume de flanelle Cerutti ne parvient pas à dissimuler l’identité d’un cardinal secrétaire d’État, déclara l’homme avec un sourire insolent.
Gonzaga tenta à toute vitesse de faire le lien entre les événements de la nuit précédente et l’individu qui était assis à côté de lui. Peine perdue.
— Qui êtes-vous et que me voulez-vous ? demanda Gonzaga avec méfiance.
— Mon nom n’a pas d’importance. Je désire seulement vous proposer une affaire.
— Soit. Je vous écoute
— Ceci est un minuscule morceau du linceul de Notre-Seigneur.
Gonzaga eut l’impression qu’il venait de prendre une décharge électrique à travers tout le corps. Il porta son regard sur le petit morceau de cellophane que l’homme lui tendait sous le nez : un minuscule morceau d’étoffe, guère plus grand qu’un timbre, entre deux feuilles de plastique soudées.
La couleur ocre et le tissage de l’étoffe ressemblaient
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