Le Huitième Péché
national, la police l’aurait arrêté.
— Certes, concéda Gonzaga, c’était une époque funeste dont je ne suis en aucune manière responsable. Mais pourquoi me racontez-vous tout cela ?
Soffici, qui était resté de marbre pendant tout le discours du banquier, hocha vivement la tête.
— Parce que cette histoire, dit Duca en frappant du plat de la main le journal, est susceptible de réveiller des souvenirs ! Vous savez les conséquences que cela pourrait avoir. À l’époque, le nombre de personnes en rupture avec l’Église grimpa dramatiquement en flèche. Et cela n’a pas été vraiment bénéfique pour la situation économique de notre sainte mère l’Église.
Le cardinal secrétaire d’État se tourna vers son secrétaire.
— Monsignor, vous allez sur-le-champ rédiger un rectificatif que vous ferez parvenir à tous les journaux qui ont publié cette information !
— Grand Dieu, Éminence ! s’écria Duca, en proie à une vive agitation. Cela reviendrait à jeter de l’huile sur le feu.
— Comment cela ? Les journaux sont obligés de publier tous les rectificatifs, qu’ils soient ou non conformes à la réalité…
Soffici s’approcha tout près de Gonzaga et lui murmura d’une voix étouffée :
— Cela signifie-t-il que vous niez la façon dont les choses se sont déroulées ? Éminence, il y a des témoins qui ont vu l’accident et le sac plein d’argent. Un rectificatif ne serait absolument pas crédible. Sans compter que ce serait pécher contre le droit apodictique, qui prescrit de ne pas porter de faux témoignage.
— Épargnez-nous vos réflexions, monsignor. La morale catholique a déjà fait suffisamment de dégâts dans l’Église. Je me permets de vous rappeler le différend avec Martin Luther. Et puis, Pierre lui-même ne s’en est pas tenu aux commandements lorsqu’il a menti par trois fois et trahi son Seigneur avant que le coq ne chante deux fois.
— Marc, 14, s’empressa de signaler Soffici.
Et Gonzaga poursuivit :
— Cependant, le Seigneur l’a choisi pour être son représentant sur la Terre.
John Duca reprit la parole :
— Qu’est-ce à dire, Éminence ? Autant que je sache, il n’y a aucun passage dans l’Écriture sainte stipulant que le mensonge est la condition préalable à l’obtention du poste de représentant de Dieu sur la Terre.
— Bien sûr que non. Je veux seulement dire par là qu’il y a des situations dans lesquelles un être humain est tout à fait en droit de recourir au mensonge. A fortiori lorsque, comme c’est le cas présentement, cela peut permettre d’éviter de sérieux ennuis à notre sainte mère l’Église.
Le banquier secoua la tête et, avant de claquer la porte derrière lui, jeta dans un geste de colère son journal sur les autres étalés sur le bureau.
Le cardinal secrétaire d’État émit un sifflement d’indignation. Il marmonna ensuite quelques mots en hochant la tête :
— Voilà un homme qui n’est pas digne du poste qu’il occupe. N’êtes-vous pas aussi de cet avis, monsignor ?
17
D urant vingt-quatre heures, Caterina avait entretenu le flou sur sa relation avec Paolo. Ce n’était cependant pas difficile à deviner. Le lendemain matin, au cours du petit-déjeuner qui, comme partout en Italie, était du genre frugal, Caterina et Paolo échangèrent des propos vifs, une fois de plus sur des questions d’argent. Paolo, ajusteur de profession, avait perdu son emploi en raison de petites activités parallèles douteuses dont il persistait à nier énergiquement l’existence. Il imputait son licenciement à la situation économique désastreuse dont toute la société ressentait les conséquences. Malberg assistait en silence à ce débat, lorsque Caterina, au plus fort de la discussion, lança à Paolo :
— Il y a belle lurette que je t’aurais mis dehors si tu n’étais pas mon frère !
Bien qu’il eût nettement compris le mot fratello . Malberg crut d’abord avoir mal entendu. Il finit par oser s’immiscer dans la conversation :
— Si j’ai bien compris, vous êtes frère et sœur ?
— Oui, répondit Caterina d’un ton brusque. Je ne vous l’avais pas dit ?
— En tout cas, je ne m’en souviens pas.
Caterina recouvra tout à coup sa bonne humeur et lui dit avec un sourire :
— Néanmoins, comparée à la vôtre, sa situation n’est pas si délicate. Vous ne croyez pas ?
Malberg opina docilement du chef. Paolo se leva et
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