Le Huitième Péché
réfléchissait. Mais plus il remâchait l’ensemble des données, et plus il était convaincu que la présence de la facture dans ce livre ne pouvait qu’être due au hasard. Marlène pouvait avoir été en train de le lire à l’instant où les tueurs avaient sonné à sa porte.
Et comme elle préférait que personne ne soit au courant de ses projets de voyage, elle l’avait dissimulé dans le livre qu’elle avait reposé sur l’étagère. Il secoua la tête.
Caterina rendit le papier à Malberg, dont la perplexité l’interpellait. De par son métier, elle excellait dans l’art d’interpréter les faits. Malheureusement, dans ce cas précis, elle ne voyait absolument pas comment analyser la situation.
Et puis, elle se sentait mal à l’aise dans cet appartement étranger, qui fleurait l’ombre et le mystère.
— Paolo, tu es encore là ? chuchota-t-elle.
— Oui, pas de souci, lui répondit-il tout bas depuis la mezzanine. Mais je ne serais pas fâché de voir cette soirée se terminer bientôt. Il est presque quatre heures du matin. La pile de la lampe donne des signes de faiblesse. Quant à moi, je dors debout. Ce genre de divertissement n’est plus de mon âge !
Malberg ne releva pas la plaisanterie de Paolo.
— Il a raison, restons-en là.
Il prit le livre, dans lequel il remit la facture.
— Nous ferions mieux de quitter les lieux.
Caterina acquiesça, soulagée de quitter l’appartement de cette étrange femme.
— Surtout, n’éteins pas la lumière ! murmura-t-elle en tournant les talons.
23
Six hommes vêtus de noir siégeaient sous le portrait de saint Borromée, élevé au rang de cardinal secrétaire d’État par son oncle, le pape Pie IV, au seizième siècle. Ce tableau monumental qui décorait le bureau du préfet de la Congrégation de la Foi constituait le seul ornement de cette pièce au demeurant très dépouillée. Elle n’avait pour tout ameublement qu’un gigantesque bureau tout au fond et, au milieu, deux tables de réfectoire formant une sorte de T, flanquées de rangées de chaises inconfortables qui offraient toutes une vue directe sur le crucifix suspendu au mur.
Dans un premier temps, la rencontre se déroula dans le silence. Dès que quelqu’un entrait, les autres le gratifiaient d’un simple hochement de tête.
C’était l’usage dans ce genre de réunion. Le cardinal Bruno Moro, directeur du Saint-Office, avait la réputation de ne pas apprécier les paroles inutiles. En revanche, le moment choisi pour la rencontre était inhabituel. Les aiguilles bleutées de sa Rolex – un cadeau que son ancien évêque lui avait fait pour ses soixante-dix ans – indiquaient 23 h. À cette heure-là, habituellement, la paix du Seigneur régnait sur la cité du Vatican.
Tandis que Moro, assis derrière son bureau, était encore plongé dans ses dossiers, les arrivants s’installaient l’un après l’autre à la table du milieu, posaient l’un après l’autre la main droite sur la main gauche et regardaient dans le vide, comme s’ils attendaient la proclamation du Jugement dernier. Monsignor Giobanni Sacchi, le secrétaire privé du dernier pape, était assis face aux grandes fenêtres : les cheveux coupés en brosse, les lunettes bon marché cerclées de métal, son visage était déjà empreint d’effroi à la pensée de la nuit qu’il était sur le point de passer sur un mince lit de fagots. Le bruit courait en effet que Sacchi s’infligeait ce genre de mortifications, à l’instar de saint Dominique. Sacchi occupait le poste élevé de préfet des archives secrètes de sa Sainteté. Il dirigeait donc le service des archives du Vatican.
En vertu du pouvoir qui lui était conféré, il veillait sur des documents dont un simple chrétien n’aurait jamais été en droit d’avoir connaissance. Ils concernaient les couvents secrets où l’on élevait les enfants naturels de prêtres et d’évêques, ou certains saints qui, de leur vivant, avaient été bien moins saints que ce que voulaient bien laisser penser leurs pieuses effigies accrochées dans les églises ; ou encore les graves manquements de certains papes peu recommandables, les annulations de mariages de personnalités haut placées et leurs justifications peu crédibles.
Frantisek Sawatzki avait pris place aux côtés de l’évêque. Avec ses cheveux blancs et son dos voûté, on eût dit que les étroites épaules de ce quinquagénaire ployaient sous le poids de la
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