Le Japon
détruite et la mer rejeta quantité de cadavres. Quant aux survivants, ils furent pourchassés et massacrés. La partie de la flotte restée à Hirado eut moins à souffrir : un quart environ de l’effectif total aurait pu se mettre en sûreté. Tout le reste périt dans les flots ou de lamain des Japonais qui durent, pendant plusieurs jours encore, nettoyer les îlots. On raconte qu’ils élevèrent de véritables collines de têtes sur le rivage. Seuls les Chinois de l’ex-empire des Song auraient été épargnés.
Le typhon est, pour une bonne part, responsable du désastre subi par les Mongols dans la deuxième campagne, celle dite de l’ère Kôan, mais on peut invoquer aussi le caractère hétérogène de leur armée, le grand nombre de bateaux hâtivement construits, le manque de coordination entre chefs mongols et coréens, la difficulté du milieu marin, encore très nouveau pour un peuple de cavaliers nomades, ainsi que l’efficacité des fortifications de la baie de Hakata et la tactique de harcèlement des bateaux adoptée par les Japonais. Les contemporains ont tout de suite parlé du vent divin, kamikaze , envoyé par le dieu Hachiman. On raconta que des moines, célébrant à la capitale, en auraient eu la révélation avant même l’arrivée des nouvelles.
Peut-on parler, à propos de ces événements, d’une prise de conscience du sentiment national ? Avant la Seconde Guerre mondiale, cet épisode a servi à exalter le sens patriotique. Il a été décrit, avec un certain anachronisme, comme un sursaut national contre l’étranger. Depuis la guerre, il fait l’objet d’un réexamen et on ne le qualifie plus de moment majeur dans l’histoire de l’esprit national. L’unique récit d’un témoin oculaire, œuvre d’un guerrier vassal du bakufu , Takesaki Gorô Suenaga, donne des indications sur la mentalité et les motivations de ceux qui ont soutenu le poids des combats à Kyû Shû, que leur famille y fût installée depuis longtemps (cas de Suenaga) ou que, moins nombreux, ils aient dû rejoindre l’île pour la circonstance. Ce personnage a commandé à un artiste un rouleau de peintures illustrant le récit qu’il a dicté,vraisemblablement vers 1293 : c’est le célèbre Récit illustré des invasions mongoles (Môko shûrai ekotoba) . Il raconte de façon assez naïve comment, malgré sa belle conduite dans la campagne de 1274, à laquelle il participa avec quatre suivants, son nom ne fut pas transmis au bakufu parmi ceux des guerriers méritants. Passant outre à l’opposition de sa famille, il décida donc d’aller protester à Kamakura, déclarant que, s’il n’obtenait pas justice, il se ferait moine et ne reviendrait pas. En chemin, il dut vendre cheval et selle, mais il arriva chez le préfet chargé de distribuer les récompenses, Adachi Yasumori, un des hommes les plus influents auprès du régent Tokimune, et lui présenta un certificat écrit par le gouverneur militaire de sa province. Le préfet, après un premier refus, se laissa fléchir et donna un ordre particulier pour qu’il reçût sa récompense. Suenaga devait se distinguer aussi dans la deuxième campagne. Son texte montre que, guerrier besogneux, il comptait sur cette occasion de se distinguer pour rétablir sa situation. Il ne songeait pas en priorité à la défense du pays, puisqu’il était décidé à n’y plus participer par les armes s’il n’obtenait pas ce qu’il jugeait être son dû.
Un autre fait manifeste aussi la soif de récompenses, en fait de moyens de subsistance, de beaucoup de gokenin : en 1275, ils demandèrent à être convoqués personnellement aux gardes contre l’étranger et non par l’intermédiaire du chef de leur famille (en dépit des partages, à chaque génération était désigné un chef de la famille, par qui passaient les convocations aux services de garde ordinaire). Une telle prétention marque bien qu’ils espéraient que leurs mérites propres seraient ainsi mieux enregistrés et qu’ils auraient de meilleures chances de recevoir des récompenses. Ils ont obtenusatisfaction car le bakufu pensait multiplier ainsi le nombre des combattants. D’autre part, Suenaga ne raisonne pas en terme de défense du pays, il n’envisage que le service dû au seigneur qui, dans son esprit, n’était sans doute pas l’empereur mais le shôgun .
Paradoxalement, le sens du pays est beaucoup plus vif dans les textes écrits pour faire connaître l’efficace
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