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Le jeu de dupes

Le jeu de dupes

Titel: Le jeu de dupes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne-Laure Morata
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deux étaient pleinement conscients qu'à l'avenir leur destin se construirait à Mont Menat.
    En cette fin d'après-midi d'hiver, François semblait insensible à l'air glacé qui l'enveloppait, soucieux, sachant qu'il devait dès aujourd'hui prendre une décision qui chagrinerait sa bien-aimée. Une lettre d'Arnaud était arrivée quelques semaines auparavant, racontant les nouveaux remous de la Fronde depuis le transfert en novembre des princes rebelles au Havre, arrêtés par Mazarin l'année précédente. L'agitation parisienne, inquiétante, grondait chaque jour davantage, et la populace déversait quotidiennement sa haine à l'encontre du cardinal rendant insupportable la pression exercée sur la régente pour voir libérer le Grand Condé et les siens.
    C'était moins la situation décrite par son compagnon d'armes que le messager porteur de la missive qui était l'objet de ses préoccupations. Violette de Goyon était une cousine éloignée de Nolwenn, croisée à la cour lors d'un passage à Paris, qu'ils avaient eu la surprise de trouver un beau matin aux portes de leur château, la demoiselle ayant saisi l'occasion de se charger d'un courrier d'Arnaud pour s'inviter chez eux. Au début, François s'était réjoui de la présence de la ravissante jeune femme qui avait su rendre les fêtes de Noël inoubliables avec sa joie de vivre, sa capacité à raconter des anecdotes croustillantes et sa sophistication peu commune dans cette humble contrée retirée d'Auvergne. Toutefois plus Violette ravissait Nolwenn, l'entraînant dans des fous rires d'adolescente et une insouciance qu'elle n'avait pu goûter jusqu'alors, plus François, en observant la belle cousine, ressentait un malaise indéfinissable face à ses manières effrontées.
    Ce matin la friponne avait dévoilé son jeu, lui faisant des avances qui l'avaient désarçonné, heureusement interrompues par l'irruption opportune de Gervais, leur valet le plus dévoué. Être dans l'obligation d'annoncer à Nolwenn que Violette, dont elle s'était complètement entichée, devait les quitter n'allait pas être facile d'autant que l'hiver rigoureux et pluvieux paraîtrait interminable en l'absence de leur distrayante visiteuse.
    Le soleil commençait à s'amenuiser à l'horizon et l'alezan, mordu par le froid, s'ébroua. François caressa son encolure, il était temps de rentrer. Éperonnant sa monture, le cavalier partit au galop, traversant les sous-bois avant de déboucher dans les champs neigeux jouxtant le bourg. Plusieurs maisons recroquevillées autour de l'église laissaient échapper leur fumée pour réchauffer les villageois réfugiés à l'intérieur avec leurs bêtes, auprès de l'âtre, s'efforçant de supporter avec résignation la dureté des conditions climatiques. Dépassant les logis de pierre, François prit la route du château.
    Se jouant des plaques de verglas, il maintint son rythme jusqu'à parvenir aux abords de l'exploitation de son métayer. Là, il ralentit l'allure, ne souhaitant pas fatiguer son cheval plus que de raison et constata avec étonnement que son fermier général était dehors malgré les intempéries, appuyé contre la porte de sa grange. François le salua d'un petit geste et allait le dépasser lorsque, subitement, il intima l'ordre à son animal de stopper net.
    – Qu'est-ce que…, émit-il, interloqué, avant de comprendre ce qui avait provoqué sa réaction.
    Le métayer avait décidément une drôle de posture. François sautant à terre le rejoignit enquelques enjambées. Les paroles qu'il allait prononcer moururent sur ses lèvres. L'homme aux yeux emplis de terreur qui le fixait avait la couleur grisâtre de ceux passés de vie à trépas : il ne tenait debout qu'à l'aide de crochets de boucher qu'on avait enfoncés dans ses membres, le clouant littéralement à la porte, lui conférant cet aspect de pantin désarticulé qui avait alerté son maître.
    François mit de longues secondes à réagir, figé par l'effroi qui le saisit à la vue d'une telle abomination. Instinctivement il ferma les paupières du cadavre d'un revers de la main en murmurant en breton la prière des morts à l'Ankou puis, d'un pas lourd, il se dirigea vers la métairie. À l'intérieur, tout était sens dessus dessous et, au fond, près d'un banc, la femme du supplicié gisait dans une mare de sang, une large entaille empourprant sa gorge. Luttant contre la nausée qui l'envahissait, François se précipita à l'extérieur

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