Le jeu de dupes

de dupes » dont ils avaient tous été victimes.
    Condé, replié à Bordeaux, avait consenti à les recevoir et les avait écoutés avec attention exposer la machination ourdie par l'espion de Don Hieronimo de la Torre pour le convaincre de basculer dans le camp espagnol. En apprenant la vérité il sembla triste et abattu.
    – Alea jacta est ! Dites à la reine que je ne trahis pas mon roi en m'alliant aux armées de Felipe IV, je me contente de protéger le royaume de son ministre voyou qu'elle s'obstine à vouloir replacer à la tête du royaume de France. Je remettrai mon épée au service de Leurs Majestés à la minute où ce scélérat aura disparu pour redevenir le plus humble et le plus soumis des sujets de Son Altesse royale.
    Les deux gentilshommes avaient compris que Pierre Lénet était déjà sur la route de Madrid et que le traité serait ratifié. Le prince, poussé par ses proches, ne pouvait plus faire marche arrière. C'était un être amer qu'ils avaient quitté, Arnaud pour rejoindre la cour alors rassemblée à Bourges, François pour rallier la capitale.
    – N'aie aucun regret, Condé a choisi son destin, nous n'y pouvions rien changer… En tous les cas, je pars rassuré. J'ai eu un peu peur pour vous en apprenant les désordres parisiens.
    – Les émeutes des derniers jours semblent s'être apaisées. Malgré tout nous évitons de sortir. Je n'ai pas pu refuser à ces dames cette excursion mais elles sont sous bonne garde avec Gervais et plusieurs serviteurs armés… J'ai hâte de quitter toute cette agitation et de retrouver nos terres de Mont Menat.
    – Tu as obtenu l'accord de Nolwenn ?
    – Oui, elle sait que c'est ce qu'il y a de mieux pour la santé des enfants et notre sécurité. Nous emmènerons avec nous Lénora. Nolwenn apprécie énormément sa compagnie et puis ainsi, loin de la cour des miracles, la petite sera protégée.
    – Loin de Malo aussi…
    – C'est vrai qu'il est préférable de les tenir à distance l'un de l'autre. Si leur attachement est sincère nous réexaminerons la situation quand Malo aura intégré l'armée et obtenu un certain grade. Ils se reverront aux périodes où nous remonterons vous rendre visite ou bien durant l'un de vos séjours à Mont Menat. Je crois que Louise ne pourra pas rester longtemps éloignée de son neveu et de sa nièce.
    Arnaud acquiesça en silence.
    – Sais-tu qui j'ai rencontré l'autre jour, toujours très actif dans son rôle de prévôt des marchands parisiens ? enchaîna François. Notre ami Broussel. Et tu ne devineras jamais qui il a engagé comme garde du corps !
    Son beau-frère secoua la tête attendant la réponse.
    – Notre cher Augustin en personne. Apparemment, les deux bougres se sont expliqués et le vieux renard s'est dit qu'avec un tel colosse il ne craignait plus d'être attaqué.
    Les deux gentilshommes rirent de bon cœur. Peu après, ils entendirent un carrosse franchir les grilles de la demeure et leurs épouses firent leur entrée tenant chacune un enfant dans leurs bras, pressées de leur raconter les préparatifs de la noce.
    François et Arnaud contemplaient avec attendrissement leurs femmes respectives, joues rosiesd'excitation, s'enthousiasmer pour cet événement d'importance, heureux de partager avec elles cet îlot de bonheur dans un univers incertain marqué par la violence, conscients de savourer une brève accalmie dans une époque troublée avec l'espoir d'un avenir plus radieux pour Charlotte et Philippe.

    Ce ne sera qu'en octobre 1652, après la fuite de Condé obligé par les Parisiens d'abandonner la ville tout juste conquise, que la famille royale rejoindra enfin la capitale. En février 1653, Mazarin le fera à son tour, la Fronde s'achevant l'été suivant. Le prince rebelle ne déposera les armes pour redevenir un loyal sujet de Sa Majesté qu'après 1660, une fois l'homme à la robe pourpre décédé.

    Cette époque tourmentée de notre histoire s'achève ainsi, laissant un peuple exsangue au nom d'intérêts particuliers défendus par les parlementaires, les bourgeois et les princes. Leur alliance éphémère aura un temps menacé la Couronne pour finalement échouer, forgeant par ses outrances la personnalité exceptionnelle du jeune Louis XIV, « Roi Soleil » qui illuminera et consumera à la fois ses sujets durant cinquante-quatre années d'un règne sans partage.