Le jeu de dupes
rendez-vous ?
– En aucun cas, Madame, d'ailleurs je vous demande mille pardons de m'imposer ainsi mais j'ai reçu de mauvaises nouvelles cet après-midi qui m'ont complètement désuni et je n'ai pu résister au besoin impérieux de vous voir ce soir, vous qui êtes de si bon conseil dans les situations délicates.
Un léger haussement de sourcil de son interlocutrice atteste qu'il n'aurait pas dû. Rouge de confusion, il s'apprête à prendre congé, lorsque la belle, magnanime, lui permet de s'asseoir.
– Maintenant que vous êtes chez moi, racontez-moi vos malheurs. Vous avez à votre disposition une oreille attentive.
De la Treyère ressentit un soulagement intense et se promit de faire parvenir dès le lendemain matin un cadeau digne de la jeune femme. L'arrivée du valet porteur du service à liqueur le combla d'aise. Buvant son apéritif par petites lampées successives, il se mit à conter ses mésaventures :
– Vous le savez, Madame, les tractations à la cour vont bon train pour la libération des princes…
Ninon acquiesça en silence.
– Figurez-vous que le maréchal de Grammont a été dépêché au Havre pour négocier leur délivrance. Mes intérêts, comme vous le savez, sont liésà ceux de son Éminence, or je sors de chez lui et, croyez-le ou non, il a refusé de me recevoir. Pire, ses domestiques s'affairaient à qui mieux mieux et je crains qu'il ne songe à prendre la fuite. Que vais-je devenir…
Ninon le coupa d'un geste plein de grâce tout en proposant de le resservir.
– Mon bon, me permettez-vous de vous interrompre ?
L'aristocrate hocha vigoureusement la tête.
– Il est peut-être temps pour vous, en effet, de ménager vos arrières. Tenez, voici les coordonnées d'une amie : Madame Gabriela de Lagne. J'ai ouï dire que Monsieur a beaucoup perdu aux cartes ces derniers temps. Vous pourriez acquérir ses créances et… les oublier. Je suis sûre qu'alors, si le cardinal venait à vous faire défaut, on ne vous tiendrait pas rigueur de votre égarement à son égard.
Rasséréné, le marquis prit le papier tendu et baisa les mains de celle qui venait de le sortir d'un mauvais pas en suggérant d'honorer les dettes de Gaston d'Orléans. Ninon tout sourire le raccompagna vers la sortie, indiquant qu'elle lui ferait bientôt signe pour une prochaine entrevue. Dès qu'il eut disparu, elle sonna sa chambrière afin qu'elle l'aide à se dévêtir de son corset et de sa crinoline pour enfiler une tenue d'intérieur et trouver un peu de paix en prenant un léger souper. Peine perdue : son laquais s'avança en s'excusant de la déranger.
– Madame, le valet de Mademoiselle de Goyon provoque un horrible tapage. Il semblerait qu'il demande la permission de récupérer les affaires de sa maîtresse comme l'y autoriserait cette missive.
Ninon devint soucieuse. Cela faisait près de trois mois qu'elle n'avait plus de contacts avec Violette hébergée un temps chez elle.
– Dis-lui que je m'occuperai de cela à tête reposée. Qu'il revienne en fin de matinée, nous verrons cela… En attendant qu'on ne me dérange plus. Je ne suis là pour personne. Fais éteindre les chandelles et boucle la maisonnée, je souhaite me coucher tôt pour une fois.
Le domestique s'empressa de battre en retraite, se demandant comment il allait bien pouvoir se débarrasser d'Augustin et le convaincre de repasser le lendemain, le serviteur de Mademoiselle de Goyon n'étant guère malléable.
Ninon, restée seule, considéra la lettre qu'on venait d'apporter. Elle brisa le cachet employé par Violette pour marquer sa correspondance et en lut le contenu.
Paris, 10 décembre 1650,
Chère Ninon,
Je n'ai point donné de mes nouvelles et cela me faisait craindre que vous ne voulussiez plus des miennes. J'ai appris que mon départ soudain vous avait contrariée et m'en excuse platement. Vous m'aviez recommandé de ne jamais me mêler de politique et, sottement, j'ai cru pouvoir faire fi de ce conseil avisé. Comme toujours, vous avez eu raison de m'exhorter à la prudence lors de notre dernière conversation. Je reconnais mes torts car je paye aujourd'hui le prix d'avoir négligé vos avertissements : j'ai suscité la colère d'un homme dont j'appréhende la réaction. À trop vouloir jouer avec le feu, je me suis brûlé les ailes. Je parsdonc quelque temps en province me faire oublier. Mon valet viendra récupérer certaines affaires que j'ai laissées chez vous. Je vous rends mille grâces
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