Le jeu de dupes
blessure n'avait pas l'air trop profonde. Il ouvrit la porte et saisit la matrone qui tentait d'ôter son bâillon pour l'asseoir sans ménagement.
– Ne bouge pas sinon je t'assomme aussi, rugit le gentilhomme.
Il décida d'attacher Crochu, déterminé à l'emmener pour le confier aux sergents du guet dans le but de faire ouvrir un véritable procès qui compromettrait Condé de façon irrémédiable.
La vieille se mit à rouler des yeux terrifiés en direction de la sortie et François comprit, mais trop tard, qu'elle tentait de lui signifier quelque chose. Il tendit l'oreille : on percevait au loin le bruit de l'arrivée d'un détachement de cavaliers. Il sentit un filet glacé couler le long de sa colonne vertébrale : les complices de Crochu n'étaient pas partis à la suite de Condé comme il l'avait cru. Il lança un regard circulaire à la recherche d'une éventuelle issue, en vain, il n'y avait aucune échappatoire : il était fait comme un rat. Il alla dégager son épée prise dans le bois et se prépara à faire face arme au poing. La porte s'ouvrit, laissant le passage à une demi-douzaine d'individus, des guerriers apparemment endurcis qui s'écartèrent pour laisser le passage à un personnage à l'allure soignée portant un masque sous un large chapeau.
– Je ne m'attendais pas à vous voir ici, Chevalier. Rendez-vous, toute résistance est parfaitement inutile…
François fut tellement sidéré par le son de cette voix qu'il hésita une fraction de seconde, ce dont les mercenaires profitèrent pour le désarmer. Leur chef eut un triste sourire en retirant son loup de satin noir.
– Pourquoi n'êtes-vous pas resté auprès de votre épouse et de vos enfants ? Hubiera sido tan facil 1 , soupira Javier de San Juan en faisant signe àses hommes d'installer François à la table en face de lui pendant qu'on allongeait le Crochu, toujours groggy, sur une paillasse au fond de la pièce.
François regardait l'Espagnol, complètement abasourdi, essayant de comprendre l'inexplicable. L'aristocrate ordonna à ses soldats de l'attacher mains dans le dos et de quitter la pièce pour l'attendre à l'extérieur, les laissant seuls avec la matrone occupée à éponger le sang du Crochu qui reprenait lentement ses esprits.
– J'estime que vous me devez une explication puisque vraisemblablement je ne sortirai pas vivant de cette masure, annonça François d'un ton froid, admettant que les dés étaient jetés.
– Lo siento 2 … Je ne peux en effet vous laisser divulguer à Arnaud ce que vous avez vu ici. Quant à vous fournir des éclaircissements, j'aurais mauvaise grâce à vous les refuser… Je suis un agent du duc Don Hieronimo de la Torre, secrétaire d'État de Son Altesse Felipe IV, chargé d'une mission primordiale : faire en sorte qu'un accord soit signé avec le prince de Condé pour qu'il nous apporte le soutien de son armée en Flandres…
– Et ce, à n'importe quelle condition, fût-ce la trahison de votre cousin ou au prix de la vie de la femme que vous aimiez ? osa l'interrompre François.
– Arnaud sert son roi, je fais de même. Grâce à sa position à la cour, j'ai pu m'infiltrer dans l'entourage d'Anne d'Autriche. Il aurait agi de façon semblable à ma place.
– Jamais Arnaud n'aurait fait tuer sa compagne pour des enjeux politiques…
– No quise su muerte 3 ! Je lui avais proposé de m'accompagner en Espagne. Elle a refusé lorsqu'elle a compris que je ne pourrais pas me marier avec elle… Elle s'est enfuie en emportant les lettres que j'avais mises au point pour convaincre Condé de l'existence d'un complot au plus haut niveau de l'État pour l'abattre, menaçant de révéler mes agissements si je ne l'épousais pas… Elle allait anéantir de longs mois de travail acharné pour faire basculer Condé dans notre camp. J'avais déjà rallié la duchesse de Longueville à ma proposition d'alliance, elle était prête à entraîner son frère. Malgré son emprisonnement, Condé rechignait encore à signer un traité avec nous alors j'ai eu l'idée de le persuader qu'on voulait le faire chanter et détruire sa réputation en utilisant les moyens les plus abjects et que Violette, agent double, possédait ces lettres ignominieuses ainsi que d'autres compromettant ses ennemis. Quand j'ai enfin découvert où elle s'était réfugiée, j'ai dû envoyer mes hommes la chercher. Cela ne s'est pas déroulé comme je l'escomptais. Vous connaissez la suite… Après ce
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