Le Journal D'Anne Frank
au-dehors, quand le ciel est si bleu, oh, alors, alors j’ai envie de tant de choses !
Ici, on ne voit rien que des visages renfrognés et bougons, que des soupirs et des plaintes réprimées, on dirait que tout d’un coup, nous vivons une situation insoutenable. Si elle est à ce point insoutenable, c’est bien de notre faute. Ici, à l’Annexe, personne ne montre le bon exemple. A chacun de se débrouiller tant bien que mal avec ses sautes d’humeur !
Vivement que ça finisse, voilà ce qu’on entend chaque jour !
Mon travail, mon espoir, mon amour, mon courage, voilà qui me donne ma force, ma joie, et m’encourage ! Je suis certaine, Kit, que je suis un peu timbrée aujourd’hui et je ne sais pourtant pas pourquoi. Tout est mélangé, sans fil directeur, et je doute parfois sérieusement que plus tard quelqu’un s’intéresse à mon radotage. « Les confidences d’un vilain petit canard » sera le titre de toutes ces sottises ; M. Bolkestein ou Gerbrandy(1) ne trouveront certainement pas grand intérêt à mon journal.
Bien à toi,
Anne M. Frank
1 P. M. Gerbrandy était le Premier ministre du gouvernement néerlandais en exil à Londres ; Bolkestein était son ministre de l’Education.
SAMEDI 15 AVRIL 1944
Chère Kitty,
« Une frayeur chasse l’autre : quand en verrons-nous la fin ? »
C’est vraiment le cas de le dire, pense un peu à ce qui vient encore de nous arriver : Peter a oublié d’enlever le verrou de la porte. La conséquence, c’est que Kugler et les hommes de l’entrepôt n’ont pas pu entrer, Kugler est allé chez Keg et a cassé la vitre de la cuisine. Nos fenêtres étaient ouvertes et cela aussi, Keg l’a vu. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien penser, chez Keg ? Et Van Maaren ? Kugler est furieux ; il s’entend reprocher de ne pas faire réparer les portes, et voilà que nous commettons une bêtise grosse comme nous ! Je peux te dire que Peter est dans tous ses états, lorsque Maman a dit à table que c’était de Peter qu’elle avait le plus pitié, il a failli se mettre à pleurer. C’est autant notre faute à tous, car nous demandons presque tous les jours si le verrou a bien été enlevé et M. Van Daan le demande aussi presque toujours. Peut-être que je pourrai le consoler un peu tout à l’heure, j’aimerais tant l’aider un peu !
Voici encore quelques confidences sur la vie de l’Annexe ces dernières semaines :
Samedi dernier, Moffi est brusquement tombé malade, il ne bougeait plus et bavait. Promptement, Miep l’a saisi, l’a enroulé dans un chiffon, l’a fourré dans le cabas et l’a amené à la clinique des chiens et chats. Le vétérinaire lui a donné une potion, car Moffï avait des problèmes d’intestins. Peter lui en a fait prendre plusieurs fois, mais bientôt Moffi ne s’est plus montré, il traînait dehors jour et nuit ; parti rejoindre sa fiancée, sans doute. Mais maintenant, il a le museau tout enflé et quand on le prend, il couine. Il a probablement reçu un coup à un endroit où il voulait chaparder. Muschi a été enroué pendant quelques jours. Juste au moment où nous nous disposions à l’envoyer lui aussi chez le vétérinaire, voilà qu’il était à moitié guéri.
En ce moment, la fenêtre de notre grenier reste entrouverte, même la nuit ; Peter et moi nous restons souvent là-haut le soir, maintenant.
Grâce à une solution et de la peinture à l’huile, nos W.C. pourront être réparés rapidement. Le robinet cassé a été lui aussi remplacé.
La santé de M. Kleiman s’améliore, heureusement. Bientôt, il ira voir un spécialiste. Espérons que l’on n’aura pas besoin de l’opérer de l’estomac. Ce mois-ci, nous avons eu huit cartes d’alimentation. Malheureusement, la première quinzaine, on ne pouvait avoir que des légumes secs, au lieu de flocons d’avoine ou de gruau.
Notre friandise du moment : des picalilly. Quand on tombe mal, on ne trouve dans le pot que des concombres et un peu de sauce moutarde. Les légumes verts sont introuvables. Salade, salade et rien d’autre. Nos repas ne se composent plus que de pommes de terre et de jus de viande en cubes. Les Russes contrôlent plus de la moitié de la Crimée. Les Anglais sont arrêtés à Cassino. Il ne nous reste plus qu’à compter sur le front de l’Ouest. Bombardements nombreux et incroyablement massifs. A La Haye, l’État civil général néerlandais a été attaqué
Weitere Kostenlose Bücher