Le Journal D'Anne Frank
nous, les jours de Noël ont passé très vite.
Anne
MERCREDI 29 DÉCEMBRE 1943
Hier soir, j’ai encore eu beaucoup de chagrin. Grand-mère et Hanneli me sont de nouveau apparues en rêve. Grand-mère – cette chère Grand-mère, comme nous avons mal compris sa souffrance, comme elle était bonne pour nous, comme elle s’intéressait à tout ce qui nous touchait, elle qui prenait garde de taire le secret terrible avec lequel elle vivait.
Grand-mère était toujours si dévouée et bonne, jamais elle n’aurait abandonné l’un d’entre nous. Dans n’importe quelle circonstance, même si j’avais fait une grosse bêtise, Grand-mère m’excusait toujours. Grand-mère – m’as-tu aimée ou ne m’as-tu jamais comprise, toi non plus ? Je ne sais pas. Comme elle a dû se sentir seule, si seule malgré notre présence. Un être peut se sentir seul, malgré l’amour des autres, s’il n’est le « préféré » de personne. Et Hanneli, est-elle encore en vie ? Que fait-elle ? Oh Dieu, protège-la et ramène-la à nous. Hanneli, chaque fois tu me rappelles ce qu’aurait pu être mon sort, chaque fois je m’imagine à ta place. Pourquoi suis-je souvent triste de ce qui se passe ici, ne devrais-je pas être toujours contente, satisfaite et heureuse, sauf quand je pense à elle et à ses compagnons d’infortune ? Je suis égoïste et lâche. Pourquoi faut-il toujours que je pense aux choses les plus atroces, et que j’aie envie de hurler de frayeur? Parce que aujourd’hui encore, et malgré tout, je n’ai pas assez confiance en Dieu. Il m’a tant donné, alors qu’en fait je ne l’ai pas encore mérité et pourtant, chaque jour, je continue à faire tant de choses de travers !
On peut pleurer, en pensant à son prochain, on peut même pleurer toute la journée. On peut seulement prier que Dieu fasse un miracle et sauve encore quelques vies. Et j’espère que je le fais assez souvent !
Anne
JEUDI 30 DÉCEMBRE 1943
Chère Kitty,
Depuis les dernières grosses disputes, tout s’est bien passé ici, aussi bien entre nous, Dussel et ceux d’en haut qu’entre Monsieur et Madame. Mais maintenant de gros nuages annoncent l’orage, à propos de… la nourriture. Madame a eu l’idée fâcheuse de faire moins de pommes de terre sautées le matin mais plutôt de les conserver. Maman et Dussel, et nous compris, n’étions pas d’accord avec elle, aussi dorénavant faisons-nous des pommes de terre à part. Mais maintenant, le partage de la graisse ne se fait pas de façon équitable et Maman doit encore mettre le holà. Si le dénouement présente un intérêt quelconque, je te le raconterai. Ces derniers temps, nous avons cuisiné séparément. La viande (eux avec gras, nous sans gras) ; eux de la soupe, nous pas de soupe. Les pommes de terre (eux épluchées, nous pelées). Des achats supplémentaires, et maintenant voilà l’histoire des pommes de terre sautées,
Si seulement nous aussi, nous étions complètement séparés une bonne fois pour toutes !
Bien à toi,
Anne
P.-S. Bep a fait tirer pour moi une carte postale de toute la famille royale. Juliana y a l’air très jeune, tout comme la reine. Les trois filles sont adorables. C’est extrêmement gentil de la part de Bep, tu ne trouves pas ?
DIMANCHE 2 JANVIER 1944
Chère Kitty,
Ce matin, comme je n’avais rien à faire, j’ai feuilleté mon journal et suis tombée à plusieurs reprises sur des lettres traitant du sujet « Maman » en des termes tellement violents que j’en étais choquée et me suis demandé : « Anne, c’est vraiment toi qui as parlé de haine, oh Anne, comment as-tu pu ? » Je suis restée figée, la page à la main, et j’ai cherché à expliquer mon trop-plein de colère et même cette haine qui m’a poussée à tout te confier. J’ai essayé de comprendre et d’excuser l’Anne d’il y a un an, car je n’aurai pas la conscience tranquille tant que je te laisserai sur l’impression de ces accusations sans te dire maintenant, avec le recul, ce qui m’a fait parler ainsi. Je suis et j’étais victime d’humeurs qui m’enfonçaient (au figuré, bien sûr) la tête sous l’eau et ne me laissaient voir que l’aspect subjectif des choses, m’empêchant de tenter de réfléchir calmement aux arguments de la partie adverse et d’agir dans le même esprit que celui que j’ai blessé ou chagriné par mon tempérament
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