Le kabbaliste de Prague
aussi je me mis à pleurer. Je la devinai morte sous les amas de ce
massacre.
Le MaHaRaL accourut au milieu des lamentations et des
vociférations. D’un regard, il jugea de l’étendue du désastre. Il eut un geste
abrupt pour réclamer le silence.
Ensuite, cela se passa très simplement. Les derniers
gémissements s’éteignirent. Le MaHaRaL tendit lentement les mains, paumes
offertes au ciel. Ses lèvres bougeaient sans qu’un son en sortît. Depuis un
instant déjà, Golem se tenait dressé, immobile, dans le fleuve.
Peut-être fut-ce une illusion, mais il sembla que tout
devenait plus pâle, plus blanc autour de nous. Indifférentes, des alouettes
tournoyaient au-dessus de la rive. L’une d’elles, dans un vol bref et décidé,
vint se poser dans la paume droite du MaHaRaL.
Au même moment, Golem se déplaça. En un geste vif, il retira
du courant les hommes qui s’y débattaient encore. Il les déposa sur la berge.
Puis il s’avança vers nous.
Un murmure de panique courut dans la foule, qui recula avec
précipitation. Mais Golem s’immobilisa tout devant le MaHaRaL. Il s’agenouilla,
inclina sa face sans bouche. Doucement, ses mains se posèrent au sol, paumes
levées.
On sursauta quand les ailes de l’alouette battirent et que
l’oiseau, quittant la main du MaHaRaL, s’éleva pour se poser dans la paume
immense de Golem.
Chacun guetta les petits sautillements de l’alouette, qui
finit par replier ses ailes et se blottir entre les doigts de glaise comme si
elle était dans son nid.
Le MaHaRaL ramena ses longues mains dans les manches de son
caftan et se tourna vers nous.
Presque aussitôt, une voix lança :
— À mort ! À mort, Golem !
Le MaHaRaL ne cilla pas. Une autre voix s’unit à la
première. Puis une autre. Les hurlements se déchaînèrent.
— À mort, Golem ! À mort, l’assassin de nos
fils !
Du regard, je surveillais Golem. Il demeurait parfaitement
immobile. L’alouette, dans sa main, avait niché son bec sous ses plumes.
La voix du MaHaRaL n’eut pas besoin de s’élever pour
réclamer le silence. Il demanda :
— Est-ce là votre décision ?
Les « oui » jaillirent sans hésiter.
Le bourgmestre Maisel s’était faufilé jusqu’au premier rang
devant le MaHaRaL. Il ouvrit la bouche, peut-être pour protester, quand la
foule se fendit pour faire place à un homme portant le corps de son enfant
mort. En vérité, ce n’était plus qu’une masse sanglante et difforme qu’il était
parvenu à extirper des rondins mortels.
L’homme déposa le cadavre aux pieds du MaHaRaL.
— C’est mon fils, dit-il. Il y en a encore dix autres
sous les décombres. Il ne faisait que lui jeter des pierres et rire. La chose
qui a fait ça ne peut pas continuer à aller et venir, Haut Rabbi. Tu dois la
détruire.
Le regard du MaHaRaL glissa sur les visages.
— Vous avez voulu Golem pour vous défendre des
massacreurs, et Golem est né. Il vous a apporté la paix et la sûreté des jours.
Vous avez alors voulu faire de Golem votre esclave et en tirer profit. Vous
avez voulu manipuler votre puissance comme si elle n’était qu’un jouet et non
une grâce du Tout-Puissant. Quand donc apprendrez-vous que le pouvoir accordé à
l’homme ne se réduit en esclavage ? Vos enfants se sont moqués de Golem
parce que vous avez oublié que, nous aussi, nous étions esclaves et humiliés
sous la poigne de Pharaon.
Il se tut, laissant le silence s’appesantir, avant d’ajouter
sèchement :
— Souvenez-vous : la main de Golem s’est abattue
sur nous, mais ce sont nos cœurs qui lui ont fait serrer le poing.
Puis, sans donner à quiconque le temps de protester, il fit
face à Golem. Aussitôt, l’énorme masse de glaise inclina la tête vers lui.
Notre Maître tendit la main. D’un geste simple, il retira la première des
lettres incrustées dans le front de Golem.
Quand il s’écarta, chacun put lire le mot qui restait dans
la boue : MET. Ce qui signifie « Mort » en hébreu.
Cela dura le temps d’un souffle. On perçut le frou-frou des
ailes de l’alouette qui s’envolait, puis un chuintement.
La boue de Golem se répandit sur la berge. Il ne restait
plus rien de visible de sa forme.
Un tas de boue semblable à celui que l’on avait entassé
devant le MaHaRaL des mois plus tôt. Rien d’autre.
Une glaise humide, du limon malodorant tiré du fleuve.
Le visage clos, à peine visible derrière sa barbe blanche,
le MaHaRaL traversa la
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