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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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fût-ce le dernier laquais, faisait l’important. Les filles étaient
folles. Les marchands italiens étaient venus de toutes parts à cette foire
fabuleuse qu’organisait le roi. Les façades d’Amiens disparaissaient sous les
soieries, les brocarts, les tapis pendus aux fenêtres, pour pavoiser.
    Il y avait trop de cloches, de
fanfares et de cris, trop de palefrois et de chiens, trop de victuailles et de
breuvages, trop de princes, trop de voleurs, trop de putains, trop de luxe et
trop d’or, trop de rois ! La tête en éclatait.
    Le royaume se grisait de se
contempler en sa puissance comme Robert d’Artois se grisait de lui-même, devant
ses miroirs.
    Lormet, son vieux serviteur, vêtu de
neuf lui aussi, mais quand même bougon dans toute cette fête… oh ! pour
peu de chose, parce que Gillet de Nelle prenait trop de place dans la maison,
parce qu’on ne cessait de voir de nouveaux visages autour du maître… s’approcha
de Robert et lui dit à mi-voix :
    — La dame que vous attendez est
là.
    Le géant se retourna d’un bloc.
    — Conduis-la-moi, répondit-il.
    Il adressa un long clin d’œil à la
comtesse sa femme, puis, à grands gestes, poussa son monde vers la porte en
criant :
    — Sortez tous, formez-vous en
cortège dans la cour.
    Il resta seul un moment, devant la
fenêtre, regardant la foule massée aux abords de la cathédrale pour admirer les
entrées et contenue avec peine par un cordon d’archers. Les cloches, là-haut,
continuaient leur vacarme ; une odeur de gaufres chaudes montant d’un
éventaire s’était mêlée à l’air, brusquement ; les rues alentour étaient
pleines ; et l’on voyait à peine miroiter le canal du Hocquet tant les
barques s’y touchaient.
    Robert d’Artois se sentait
triomphant, et il le serait davantage encore tout à l’heure, quand il
s’avancerait vers son cousin Philippe, dans la cathédrale, et prononcerait
certaines paroles qui ne manqueraient pas de faire trembler de surprise les
rois, les ducs et barons assemblés. Et chacun ne s’en repartirait pas aussi
joyeux qu’il était venu. À commencer par sa chère tante Mahaut et par le duc
bourguignon.
    Ah ! certes, Robert allait bien
étrenner son costume de pair ! Vingt ans et plus de lutte opiniâtre
recevraient ce jour leur récompense. Et pourtant, dans cette grande joie
orgueilleuse qui l’habitait, il reconnaissait comme une fissure, un regret.
D’où ce sentiment pouvait-il lui venir, alors que tout lui souriait, que tout
se conformait à ses souhaits ? Soudain il comprit : l’odeur des
gaufres. Un pair de France, qui va réclamer le comté de ses pères, ne peut
descendre dans la rue, en couronne à huit fleurons, pour manger une gaufre. Un
pair de France ne peut plus gueuser, se mêler à la multitude, pincer le sein
des filles et, le soir, brailler entre quatre ribaudes, comme il le faisait
lorsqu’il était pauvre et qu’il avait vingt ans. Cette nostalgie le rassura.
« Allons, se dit-il, le sang n’est pas encore éteint ! »
    La visiteuse se tenait près de la
porte, intimidée, et n’osant troubler les méditations d’un seigneur coiffé
d’une aussi grosse couronne.
    C’était une femme d’environ
trente-cinq ans, à visage triangulaire et pommettes pointues. Le chaperon
rabattu d’une cape de voyage cachait à demi ses cheveux nattés, et sa
respiration soulevait sa poitrine, fort ronde et pleine, sous la guimpe de lin
blanc.
    « Mâtin ! Il ne s’ennuyait
pas, l’évêque ! » pensa Robert quand il s’aperçut de sa présence.
    Elle fléchit un genou dans un geste
de révérence. Il étendit sa large main gantée et chargée de rubis.
    — Donnez, fit-il.
    — Je ne les ai point,
Monseigneur, répondit la femme.
    Le visage de Robert changea
d’expression.
    — Comment, vous n’avez point
les pièces ? s’écria-t-il. Vous m’aviez assuré que vous me les porteriez
aujourd’hui !
    — J’arrive du château d’Hirson,
Monseigneur, où je me suis introduite le jour d’hier, en compagnie du sergent
Maciot. Nous sommes allés au coffre de fer scellé dans le mur, pour l’ouvrir
avec les fausses clefs.
    — Et alors ?
    — Il avait déjà été visité.
Nous l’avons trouvé vide.
    — Fort bien, belle
nouvelle ! dit Robert dont les joues pâlirent un peu. Voici un grand mois
que vous me lanternez. « Monseigneur, je puis vous remettre les actes qui
vous rendront la possession de votre comté ! Je sais où ils sont

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