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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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tendresse une main sur mon ventre. Je vis le regard de Geoffroi se troubler, mais il ne dit rien.
    – Comment peux-tu, déjà…
    – Je le sais, je le sens, cela suffit. J’ai besoin simplement de votre bénédiction à tous deux.
    – Il faut auparavant rendre à Jaufré ses terres de Blaye et annoncer la nouvelle.
    – Point, ma reine. Jaufré ne survivrait pas aux quolibets qui ne cesseraient sans doute pas de suivre ses pas. Non plus qu’aux regards de pitié et aux doigts tendus des pères vers les fils qui martèleraient des : « Vois, c’était un grand troubadour avant ! » Non ! Il mourrait plus assurément de cette blessure-là que de toute autre, tant lui était précieux ce don qu’il n’a plus. Laissons la légende grandir. Elle portera son nom et son infortune sur une belle partition dont il pourra être. Redevenir seigneur de Blaye sur sa terre lui suffit. Il a tant à lui donner pour que grandissent nos enfants.
    – Ne rien dire ! Comment cela se pourrait-il ?
    – Rien n’est plus simple, Aliénor. L’épreuve qu’il a traversée l’a rendu plus rude, en le vieillissant d’apparence. Personne ne reconnaîtra, malgré la ressemblance, le troubadour perdu, puisque sa voix elle-même le dément. Son frère Gérard qui s’était embarqué à Aigues-Mortes pour la croisade a été porté disparu en mer, tu me l’as appris toi-même lorsqu’il fut question de léguer le comté de Blaye. Changeons Jaufré en Gérard, avec la complicité de son cousin et suzerain. Rien n’est plus facile. Il suffira de prétendre quelque captivité en Terre sainte, comme c’est encore le cas pour bon nombre des nôtres, captivité dont il se sera finalement échappé. Dès lors qu’il revient au pays, la reine de France peut lui donner la terre de Blaye qu’il revendique au titre de sa parenté avec le défunt. Jaufré le troubadour devient simplement Gérard II Rudel. Il y a si longtemps que Gérard n’a été vu à Blaye. Qui se souciera là-bas de mettre en doute sa descendance, ou son nom ?
    – Voilà qui n’est point sot, acquiesça Aliénor.
    – Et ferait notre bonheur, ajoutai-je en détournant le regard de celui de Geoffroi dans lequel je venais de lire une profonde tristesse.
    – Une fois encore, soupira-t-il, je vais devoir porter le poids d’un lourd secret. De sorte que, quoi que je fasse, Loanna de Grimwald, votre vie reste attachée à la mienne depuis que vous avez mis pied en Aquitaine. Mais jamais je ne vous trahirai. Ni vous, ni lui, ni ma duchesse, quelle que soit sa bannière.
    – Geoffroi de Rançon, annonça gravement Aliénor en posant une main sur son épaule, croyez que, s’il en est un en Aquitaine à qui je confierais ma vie, ce serait vous. Désormais, vous ne me quittez plus. Vous occuperez en mes nom et absence les fonctions les plus hautes sur mes terres. Il ne sera pas dit que ma reconnaissance sera perdue. Quant à toi, Loanna de Grimwald, fais mander ton amant. Qu’il vienne prêter allégeance à sa duchesse en échange de ses terres, afin qu’il revienne à Blaye en maître.
    Je les quittai le cœur léger. Dans une auberge aux abords du palais, Jaufré m’attendait avec impatience. Quand je lui appris la nouvelle, il m’enlaça éperdument, mais je ne sus dire si c’était de reconnaissance, d’amour ou de souffrance.
    – Je suis tienne, amour, murmurai-je comme un serment. À jamais. À jamais, Jaufré !
    – N’aie crainte. Je vais bien, répondit-il calmement.
    Mais cela suffit pour me conforter dans l’idée du contraire.
     
    Lorsqu’il plia genoux devant sa reine, mon cœur cessa de battre. Pourtant Aliénor ne chercha pas à railler. Elle s’avança simplement, et le relevant aux épaules, lui sourit franchement et posa sur ses joues creuses un baiser d’amie.
    – Jaufré le rude, Jaufré miracle, Jaufré patience, Jaufré amour, puisque notre Dieu tout-puissant a levé sur toi le doigt de Sa miséricorde, c’est donc que tu es digne, plus que n’importe lequel d’entre nous, de notre respect et de notre amitié. Jaufré Gérard Rudel, je te fais Gérard II comte de Blaye, par le sang qui est tien. À une condition toutefois.
    Je levai un œil inquiet, mais la reine souriait.
    – Je t’ordonne de prendre épouse dès ce printemps. Mieux, c’est celle-ci que je te choisis.
    Saisissant ma main, elle la noua à celle de Jaufré.
    – Qu’il en soit fait selon votre désir, ma reine, crissa la voix métallique de

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