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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Jaufré.
    Aliénor ne put s’empêcher de tiquer en l’entendant, mais elle ne laissa rien paraître qui pût passer pour de la pitié.
    – Dès ce tantôt, la nouvelle sera rendue publique. Vous prendrez possession de la ville de Blaye demain. Ce bref vous ouvrira les portes.
    Il saisit le rouleau de parchemin d’une main ferme. Je sentais à quel point il lui était difficile d’accepter qu’on lui donne ce qui lui appartenait déjà. Mais rien ne le trahit. Jaufré méritait désormais son surnom de Rudel. Ces années de méditation et de souffrance l’avaient rendu endurci, assombri. Il s’était fermé, lui qui n’était que lumière et chaleur. Était-ce bien cet homme que j’aimais ? La réponse fusa à l’intérieur de moi. Oui. Oui. Oui. Je saurais attendre et comprendre, je saurais panser ses blessures, je saurais lui rendre son sourire. Je saurais faire en sorte qu’il redevienne entier. Le temps œuvrerait à ma cause. Nous étions l’un pour l’autre, l’un à l’autre. Je portai la main à mon ventre. Notre enfant me tenait chaud. Du coup, les doigts de Jaufré entrelacés aux miens me parurent moins glacés.

17
     
     
    L’hiver se passa en voyages. À Noël 1151, nous étions à Limoges, où Louis nous rejoignit, l’œil sombre. Il eut un long entretien avec la reine. Partout dans les couloirs les bruits les plus divers couraient, entretenant sans équivoque l’idée d’une séparation toute proche. De ce moment, nos pérégrinations se divisèrent en deux escortes. Ceux du Sud suivaient la reine, et ceux du Nord, Louis, drapé dans une dignité austère qui me laissait supposer qu’il se sentait désormais irrémédiablement seul et malheureux. À la Chandeleur, nous étions à Saint-Jean-d’Angély. Ce fut là véritablement que les choses se précipitèrent. Louis avait convoqué un concile pour mars 1152. Désormais, c’était chose publique. Ce fut dans la petite ville que Louis annonça haut et fort son intention de se séparer de la reine.
    Aliénor n’apprécia pas que soit clamé ainsi ce qui avait été décidé dans la discrétion. Non qu’elle se fût inquiétée de sa réputation. Il y avait eu bien pire à son encontre. Mais elle sentit brusquement peser sur elle les regards de convoitise des féaux qui jusque-là se seraient bien gardés de faire offense à leur roi. Prendre Aliénor de force et l’épouser revenait dès lors à prendre l’Aquitaine. Et nous n’étions pas sans savoir ce que cette dot représentait.
    – Va, me dit la reine. Préviens Henri de ce qui se trame dans l’ombre. Je crains que ma route ne soit semée d’embûches pour le rejoindre. Qu’il se tienne prêt à y faire face. Mieux ! Qu’il me trace un itinéraire sûr où je saurai pouvoir le trouver en cas de danger.
    Ainsi fut fait. Munie d’une solide escorte, l’heure suivante n’avait pas encore tourné que je fonçais à bride abattue vers Angers. Mon ventre gros de cinq mois aurait dû m’interdire toute chevauchée, mais je n’en avais cure. Je savais que cette fois je ne perdrais pas mon enfant. Si je n’avais plus de pouvoirs véritables, mon intuition, elle, était toujours aussi vive. L’angoisse d’Aliénor était fondée. J’avais laissé Jaufré retourner à Blaye, mais nous nous écrivions souvent. Il achevait de remettre de l’ordre dans ses affaires, mal menées durant ces deux dernières années. Il avait rendu visite à son suzerain et cousin, fort de l’ordonnance de sa reine, et celui-ci avait approuvé la décision qui avait été prise. Il valait bien mieux au regard de Dieu comme des hommes que celui qui était enterré à Tripoli ne reparaisse pas au sein des vivants. Ensuite, Jaufré se rendit à Lusignan où, une fois encore il ne put dissimuler la vérité. Son vieil ami Uc lui ouvrit les bras en pleurant, jurant sur son âme de garder un secret qui rendait un sourire à sa triste mémoire. Dès lors, Jaufré retrouva son allant. Et sa place. À présent, les difficultés qui m’avaient semblé si lourdes s’estompaient. Dans ses lettres renaissait cet humour que j’aimais tant. Mieux, il préparait notre mariage, fixé pour la fin mai. J’aurais mis notre enfant au monde avant, mais c’était sans importance. Plus rien n’en avait désormais. Et, tandis que je franchissais le pont-levis qui permettait l’accès à la petite cité de mon enfance, je songeais que c’était là, en songe, entre les murailles de cette tour où

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