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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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est magie ! entendis-je encore.
    Alors, soudain, je compris.
    – Viens, murmurai-je à Jaufré en me redressant et en l’aidant à faire de même.
    Baignés de cette lumière qui nous plongeait dans les méandres de l’infini, je le conduisis au pied du dolmen qui, seul, se détachait à présent sans nous éblouir. Là, je l’attirai à moi.
    – Pour l’éternité je suis tienne, Jaufré. Je t’aime.
    Alors, nous nous allongeâmes sur la pierre plate. Je le reçus avec le sentiment que c’était l’univers tout entier qui s’ouvrait avec mon ventre. Et, lorsqu’il cria en me délivrant sa semence, je compris que notre offrande était acceptée.
     
    Ce qui ne m’avait semblé que quelques heures dans le monde des fées avait été dans celui des humains près de deux semaines. Lorsque nous ressortîmes de la forêt, je savais porter en mon sein l’enfant de Jaufré. Merlin avait dit vrai. Jaufré ne boitait plus et son visage avait repris sa finesse. La vilaine cicatrice à sa tempe avait disparu, emportant la trace de ses tourments. Pourtant, le troubadour était définitivement mort à Tripoli. Jaufré n’avait recouvré qu’une voix rauque et grave, qui n’avait plus aucune mesure avec celle qui m’avait bouleversée tant de fois aux larmes. Il était le même, et il était différent. J’ignorais s’il prenait la mesure, à cet instant, du sacrifice auquel il avait consenti. Perdre sa voix, c’était un peu perdre son âme. Il m’assura que c’était un bien petit malheur en comparaison de ce qu’on venait de lui rendre. J’étais trop heureuse pour vouloir en douter, mais quelque chose en moi me susurrait que ce ne serait pas aussi simple. En me redressant sur le dolmen, j’avais instinctivement porté la main à mon cou. Ma pierre de lune n’y était plus. Je pensai un instant qu’elle avait pu se détacher pendant nos ébats, mais aussitôt je chassai cette idée. Elle m’avait été remise par Merlin comme le symbole de ma connaissance, de mon appartenance aux prêtresses d’Avalon. En renonçant à tout cela, je l’avais renvoyée dans ce monde dont je ne faisais désormais plus partie. Étrangement, je m’aperçus que j’en étais soulagée. Comme si l’on avait dénoué de mon col quelque chose qui m’avait étranglée de longues années. Libre ! Enfin, j’étais libre !

16
     
     
    Aliénor me reçut avec chaleur, enlaçant mes épaules de ses bras affectueux.
    – Te voici rayonnante, s’écria-t-elle, au point que je ne peux croire que tu n’aies point renoncé à ce stupide projet qui t’a éloignée de moi !
    – J’avais promis de revenir, ma reine. Me voici, répliquai-je simplement en lui rendant son baiser.
    Elle n’était pas seule. Plusieurs de ses dames étaient occupées à jouer aux dés dans la vaste salle du palais ducal. Aliénor n’avait pas seulement pris ses quartiers à Poitiers, elle y avait recréé en quelques mois la cour de son enfance, celle de Guillaume le troubadour. De tous les coins du palais se répondaient harpes et cithares, mandores et flûtes, au milieu des jongleurs et des acrobates. Vautrés sur des coussins multicolores, les vassaux d’Aliénor se divertissaient pour oublier que les premières gelées avaient frémi sous leurs fenêtres. Personne ne s’étonnait de l’absence de Louis, qui réglait, disait-on, diverses affaires de part et d’autre dans le royaume. Il flottait sur Poitiers un souffle de béatitude. Aliénor y préparait sa retraite. Et sa reconversion. Un homme s’avança vers nous, et cela suffît à ramener vers moi les regards curieux. Geoffroi de Rançon avait rendu publique l’annulation de notre mariage et l’on s’attendait sans doute qu’il manifestât à mon encontre quelque mauvaise humeur. Je m’inclinai devant lui. Je ne craignais pas son courroux. D’ailleurs, lorsque je me relevai, ce fut avec un sourire qu’il ponctua ces mots :
    – Je voulais être le premier à saluer votre retour, dame Loanna.
    – Après votre reine, Geoffroi, le gronda gentiment Aliénor.
    – Il n’est rien, Majesté, pour quoi je ne sois votre vassal, s’excusa-t-il.
    – Je suis heureuse de vous revoir, messire Geoffroi.
    – La duchesse d’Aquitaine que je suis avant tout est ravie, croyez-le, que vous conserviez, au-delà de toute raison, une certaine civilité, mes bons, ajouta Aliénor en haussant la voix pour qu’elle atteigne chacun.
    – Je n’ai pour ma part rien à reprocher à

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