Le Lys Et La Pourpre
pourrais subsister plusieurs semaines
encore sans épuiser mes forces. Mais le pâtiment était là, et bien là, et ne me
quittait pas. Les jours, dans ce triste prédicament, se traînaient aussi
lourdement que des vagues chargées d’algues et ce ne fut que dans les premiers
jours d’octobre que les choses commencèrent à s’éclaircir et à se préciser. Toiras
me fit dire qu’il me voulait entretenir en son logis au bec à bec. Je m’y
rendis incontinent, et en effet, l’y trouvai seul.
— Mon ami, me dit-il avec sa rondeur gasconne, j’ai un
pardon à quérir de vous, pour vous avoir caché deux choses, non que je n’eusse
fiance en vous – elle est entière, bien le savez – mais pour ne point
vous déquiéter là où vous ne pouviez rien changer au cours des événements. La
première, c’est celle-ci : le roi est tombé gravement malade en juillet.
Tout le mois d’août, il a été quasiment au grabat. Mais la Dieu merci, il s’est
rétabli au début de septembre, et il est à ce jour sain, sauf et gaillard.
— En êtes-vous bien assuré ? m’écriai-je,
trémulant de la tête aux pieds. Est-ce la vérité vraie ?
— Aussi vrai, morbleu, que cette terre que je foule aux
pieds, laquelle est si peu aisée à défendre ! Et pardon encore de ne vous
l’avoir dit que meshui. Mais connaissant votre grande amour pour Louis, je
noulus vous désespérer. Quant à ma seconde cachotte…
— Est-elle du même acabit ?
— Tout le rebours ! Elle vous eût donné trop
d’espoir. Mais ce jour d’hui, l’espoir tourne si bien à l’extrême probabilité,
ou dirais-je même à la quasi-certitude que j’ai résolu de vous en toucher mot,
combien que la chose doive demeurer archisecrète pour tout être vivant en cette
garnison. Mais vous êtes céans l’envoyé du roi, et je vous dois la vérité.
— S’agit-il des secours ?
— Oui-da ! Et puisque vous l’avez deviné, vous
n’êtes pas aussi sans vous douter que je fus dès le début du siège jusques et y
compris le moment présent, en constante relation avec nos forces sur le
continent, soit par des faux déserteurs, soit par des petites barques passant
le détroit à la faveur de la nuit, soit encore par ces trois nageurs que vous
savez. Et grâce à cette constante liaison, je n’ignore pas que le cardinal a
mis sur pied une expédition maritime pour nous porter secours, la troisième, en
fait, les deux premières ayant échoué ; celle-ci a toutes les chances du
monde de réussir, le cardinal s’étant bien renseigné et ayant choisi cette
fois-ci l’embarcation la plus apte à passer au travers des vaisseaux anglais.
— Et quelle est donc cette merveille ? dis-je,
avidement.
— La pinasse basque de Bayonne.
— La pinasse basque de Bayonne ! Diantre ! Et
qu’a-t-elle de si merveilleux ?
— Ah ! mon ami, elle est bien supérieure aux
flibots de Hollande, aux barques des Sables d’Olonne, et aux traversiers de
Brouage. Et je vais en vous dire, mon ami, ma râtelée, ayant navigué sur l’une
d’elles en mes vertes années. La pinasse est une bien particulière sorte de
chaloupe. Elle est longue de huit toises [92] , avec un fond plat, une proue
relevée et effilée, une poupe ronde, un mât à l’avant de faible hauteur, mais
avec une voile au tiers fort large, laquelle est fort bonne au largue ou au
grand largue [93] , mais peu propre, vent debout, à
louvoyer. À cette allure, et aussi quand le vent refuse, les rameurs sont
nécessaires, et il y en a deux rangs, l’un à bâbord, l’autre à tribord. La
vitesse, que leur adresse et leur vigueur impriment à la légère embarcation,
est tout à plein émerveillable tant est que les Basques, qui se servent de la
pinasse, bien entendu, pour pêcher, l’utilisent aussi pour concourir entre eux
les jours de fête, à la voile ou à l’aviron, ou même avec les deux, selon les
vents.
— Et quand le cardinal a-t-il découvert les
pinasses ?
— Il y a un mois.
— Il y a un mois ! Mais elles devraient être déjà
là !
— Que nenni ! Il faut du temps pour aller de Paris
à Bayonne. Il faut du temps, de la patience et beaucoup d’écus pour louer
trente-cinq pinasses avec leurs équipages, car croyez-vous que les Basques les
auraient laissées partir sans eux ? Et il faut du temps et bon vent et
bonne mer pour naviguer de Bayonne aux Sables d’Olonne. Il faut du temps
encore, ces pinasses une fois arrivées là, pour les
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