Le Maréchal Suchet
et les combats qu’elle impliquait ne manquaient pas d’analogie, toutes choses étant égales avec la conception, le lancement et l’exploitation commerciale d’un produit manufacturé. Aussi, des idées tellement nouvelles nuisirent-elles un peu à son avancement mais, lorsqu’il eut prouvé qu’elles pouvaient se révéler intéressantes, il trouva des supérieurs pour y prêter attention. Du reste, dès que les circonstances lui permirent d’exercer un grand commandement, il donna la preuve de ses qualités que son sang-froid, son esprit réfléchi et ses vues générales lui permettaient de mettre en lumière.
Ce fut un malheur pour lui que de servir sous Bonaparte qui ne comprenait rien à sa manière de concevoir la guerre. Il eût sans doute mieux valu qu’il fût affecté à l’armée du Rhin où, avec un Moreau à l’esprit large, il aurait pu très tôt révéler toute sa personnalité.
En réalité, ce ne fut qu’assez tard, en Espagne, parce que précisément il n’était bridé par aucun supérieur, qu’il fut à même de fournir la preuve de ses capacités. Et, là encore, il eut un immense mérite car il accomplit une œuvre assez originale avec de pauvres moyens. Jamais il n’obtint que Napoléon lui fournît les troupes qu’il réclamait et qui lui auraient permis de contribuer à la constitution d’un ensemble solide. Il œuvra patiemment, méthodiquement et obtint d’étonnants résultats.
À côté de cela, il n’était pas sans défauts, lesquels se voyaient de loin. Il pouvait faire preuve d’un entêtement féroce même lorsque son obstination entraînait des conséquences catastrophiques. Dans plus d’une occasion, il ne se montra pas très bon camarade et, mettant en avant des raisons parfois discutables, refusa de se porter au secours d’un chef de corps en difficulté. Mais, surtout, il fit montre d’une platitude, d’une obséquiosité vis-à-vis du pouvoir en place, qui portent une ombre fâcheuse sur le personnage. L’affaire de Bédoin, la manière dont il proposa ses services pour réprimer ce mouvement, sont assez typiques de sa mentalité.
Il n’y eut jamais une grande sympathie entre lui et Napoléon. L’empereur le sentit très tôt et, d’ailleurs, il ne voulait pas admettre les théories de Suchet sur l’art de gérer une grande unité. Son côté grand bourgeois l’amena à prendre un peu ses distances à partir de 1808 comme tous les membres de sa classe sociale, ce qui ne l’empêcha pas d’épouser une nièce du frère aîné de l’empereur. En 1814, il se rallia sans état d’âme aux Bourbons et hésita beaucoup, l’année suivante, à suivre Napoléon. Malgré ses réticences, il mena une campagne brillante à la tête de l’armée des Alpes. Mais là encore Napoléon ne lui avait réservé qu’un emploi secondaire.
Après cela, il sut sans jouer aucun rôle de premier plan tenir sa place. Tel qu’il est, le personnage force la sympathie sans l’avoir pour autant recherchée. Sur un plan familial, il se montra excellent mari, bon père et parfait gestionnaire de ses biens.
Napoléon, dans le choix de ses maréchaux, fit preuve d’une singulière méthode ou, plus exactement, de manque de méthode. On a soutenu que ces désignations avaient été dictées au départ par des raisons politiques. Curieux procédé pour distinguer des hommes destinés à exercer des commandements militaires ! Plusieurs de ces soldats montrèrent de réelles qualités de chef et surent assumer des responsabilités, tels Jourdan, Masséna, Davout, Bernadotte. D’autres comme Moncey, Mortier, Marmont ou Victor se révélèrent franchement médiocres. Mais il y en eut au moins deux qui donnèrent très tôt la preuve de leurs talents et que, pour des raisons qui ne lui font pas honneur, Napoléon fit attendre de nombreuses années : ce sont Gouvion-Saint-Cyr et Suchet. Promus tard, trop tard, ils se trouvèrent longtemps maintenus dans une certaine subordination qui les empêcha de montrer le meilleur d’eux-mêmes.
À Sainte-Hélène, l’empereur consentit enfin à leur rendre justice. De Suchet, il déclara à Las Cases cette pensée étonnante : « Suchet était quelqu’un chez qui le caractère et l’esprit s’étaient accrus à surprendre » et également : « Si j’avais eu Suchet à la place de Grouchy, je n’aurais pas perdu Waterloo. » À son médecin O’Meara qui lui demandait quel avait été le meilleur de ses généraux,
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