Le Maréchal Suchet
celle de Masséna, et non loin de celles de Pérignon et de Sérurier. Ce fut encore Suchet qui prononça l’éloge de Lefebvre. La tâche était plus délicate car il avait joué un rôle non négligeable dans les batailles de l’Empire. Enfin, Davout décéda en 1823, âgé seulement de cinquante-trois ans. Il avait toujours été d’un caractère difficile et avait peu d’amis. Pourtant, Suchet, qui, il est vrai, n’avait eu que de rares occasions de travailler avec lui, était plutôt en bons termes avec le prince d’Eckmühl. Il était un des privilégiés qui l’avait fréquenté sous la Restauration. Aussi, lorsque sa veuve lui demanda de faire partie du conseil de famille, accepta-t-il sans hésiter.
À la chambre des pairs, où Davout était rentré en 1819, il y eut une quasi-unanimité pour demander à Suchet de prononcer son éloge funèbre. Il commençait à avoir de l’entraînement pour ce genre d’exercice. Mais, là, la tâche était infiniment plus ardue que dans les cas précédents. Non seulement Davout, de très ancienne noblesse, avait servi sous la Révolution et sous l’Empire, non seulement il avait continué à résister à Hambourg bien après la première abdication de Napoléon et même fait tirer sur le drapeau fleurdelisé brandi par des parlementaires, mais encore il avait joué un rôle capital pendant les Cent-Jours. Il s’était présenté à Napoléon le soir même de son arrivée à Paris. Ministre de la Guerre, il avait réussi le tour de force de mettre sur pied une armée en trois mois et après Waterloo avait conseillé à l’empereur de mettre fin à l’opposition des chambres par un coup d’État et en faisant fusiller quelques fortes têtes Enfin, lors du procès du maréchal Ney, cité comme témoin, il n’avait pas hésité à prendre la défense de son camarade.
Pourtant, Suchet réussit dans ce périlleux exercice sans choquer la majorité de l’assemblée devant laquelle il prit la parole. Il est vrai qu’il vanta beaucoup les qualités d’homme de Davout, bon père, bon mari, loyal et désintéressé. Il évoqua sa carrière militaire en insistant sur son chef-d’œuvre, la bataille d’Auerstaedt, et glissa sur son rôle durant les Cent-Jours. Ce fut un petit chef-d’œuvre de sous-entendus et le dernier éloge de Suchet pour un autre maréchal.
Le duc d’Albufera était devenu le meilleur expert en matière de questions militaires tant en raison de ses connaissances personnelles étendues que par suite de la disparition de certains de ses camarades. À la chambre des pairs, on le consultait systématiquement sur tous les travaux soumis à l’assemblée concernant l’armée. C’est ainsi qu’en 1824 il avait été nommé rapporteur d’une commission chargée d’examiner certaines modifications apportées à la loi Gouvion-Saint-Cyr sur le recrutement. Son travail avait montré une fois de plus la hauteur de vues avec laquelle il se penchait sur un problème, tout en continuant à faire preuve d’un souci du détail. Sa tâche avait été d’autant plus embarrassante que l’auteur de la loi faisait partie de la même assemblée que lui et qu’il était désireux par-dessus tout d’éviter de le froisser alors qu’il le savait particulièrement susceptible.
Sa réputation s’étendait au-delà des frontières. Lorsque le général Jomini, à présent aide de camp du tsar, mais longtemps chef d’état-major de Ney, entreprit dans le cadre de son œuvre sur les guerres napoléoniennes d’écrire un ouvrage sur les opérations militaires en Espagne, il s’adressa à Suchet pour obtenir un certain nombre de renseignements. Celui-ci fit remarquer que son expérience était limitée tant sur le plan géographique que pour l’action elle-même mais, dans le cadre de ce qu’il avait vécu, il fournit à Jomini des informations précieuses.
Il entretenait une correspondance avec le duc de Wellington dans laquelle ils parlaient de tout sauf de questions militaires, le duc de fer ayant tiré un trait sur cette période de sa vie.
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À présent, sa santé préoccupait son entourage. Il avait toujours dû la surveiller, mais il commençait à ressentir les premiers symptômes d’une maladie encore mal connue : le cancer de l’estomac suivant toute vraisemblance, et il éprouvait à la fois une grande fatigue et des difficultés à s’alimenter. Les différents traitements et régimes auxquels ses médecins le soumirent
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