Le Maréchal Suchet
même de quelques semaines et il n’avait pas les cadres. La Convention avait décidé de l’envoyer d’urgence renforcer les troupes qui assiégeaient Toulon. Il était prévu qu’il y arriverait autour du 15 octobre et il y parvint le 16. Des rudiments d’instruction furent donnés au bataillon en cours de route. Arrivé sur place, le 4 e bataillon avait quelque peu fondu tant par suite des maladies que des désertions (un peu plus de dix pour cent des effectifs). Pourtant, les volontaires faisaient preuve d’un esprit enthousiaste.
L’unité fut affectée à la division de gauche commandée par le général Garnier, ancien soldat du roi. Du reste, le 4 e bataillon de l’Ardèche ne détonnait pas trop au milieu des dix bataillons de la division aux effectifs fort incomplets puisqu’elle comptait moins de cinq mille hommes. Cet ensemble était quelque peu folklorique. La discipline très relâchée n’en était pas le point fort. Les hommes tenaient volontiers des meetings qui faisaient ressembler les compagnies à des clubs révolutionnaires. Un témoin ami de Carnot nota dans un rapport à celui-ci que ces curieux soldats refusaient de travailler le jour par crainte des bombardements et la nuit car ils avaient besoin de sommeil !
Le général en chef des troupes françaises, l’incapable Carteaux, fut remplacé à la fin octobre par Dugommier, officier de formation. Celui-ci, lorsqu’il passa ses troupes en revue, ne se fit aucune illusion sur leur valeur et profitant de sa supériorité numérique (trente mille hommes face à quinze mille Anglais) se cantonna dans un investissement de la place basé sur une prudente défensive. Profitant de ce répit, Suchet s’employa à continuer d’instruire ses volontaires. Mais les résultats n’étaient sans doute pas très probants car lorsque, le 30 novembre, les Anglais tentèrent en face de la division Garnier une sortie pour élargir leur front d’attaque, le 4 e bataillon de l’Ardèche ne fut pas engagé dans l’action mais maintenu en seconde ligne.
Les assaillants furent assez aisément repoussés en laissant un nombre important de morts et de blessés sur le terrain. Le bataillon de Suchet, qui était resté l’arme au pied pendant le combat, fut employé, durant la suspension d’armes qui suivit, à ramasser les blessés puis à enterrer les morts. Or, un fait assez curieux survint pendant ce travail. Les soldats français tombèrent, presque par hasard, sur un blessé qui cherchait à se suicider en se transperçant de son épée. Lui ayant arraché celle-ci et ayant du reste constaté que la poignée « semblait être en or », ils le ramenèrent avec précaution dans leurs lignes. Là, un peu plus tard, ils apprirent qu’ils avaient capturé le général commandant la place de Toulon, O’Hara. C’était une prise trop importante pour un simple bataillon. Le général Dugommier s’occupa lui-même de son prisonnier, le traita avec tous les égards dus à son rang et mit ses équipages à sa disposition.
L’honneur de ce fait d’armes, s’il est permis de l’appeler ainsi, rejaillit jusque sur le commandant du bataillon et on commença à parler de Suchet, jusque-là assez anonyme parmi ses camarades. Mais l’affaire n’en resta pas là. O’Hara, à qui les Anglais avaient fait remettre ses affaires pour remercier les hommes qui lui avaient sauvé la vie, envoya à Dugommier, afin qu’il les leur transmît, un sac contenant mille guinées. Convoqués chez leur général en chef, les brancardiers improvisés eurent un geste digne de la grandeur des Romains. Parlant au nom de ses camarades, l’un d’entre eux déclara qu’ils n’avaient pas besoin de l’or des tyrans mais de pain et de cartouches et qu’en tant que Français, ils n’avaient fait que leur devoir !
Ému par tant d’abnégation, Dugommier après les avoir remerciés leur remit un assignat de cinq cents livres, ce qui était bien peu de chose à côté du présent anglais. Ils l’assurèrent qu’ils le partageraient avec leurs camarades !
Mis au courant par l’officier qui lui rapporta le sac de guinées, le général O’Hara lui aurait fait remarquer : « Dites à votre général qu’avec de pareils hommes, il sera bientôt maître de Toulon. »
Dix-neuf jours après cette capture, qui avait quelque peu démoralisé la garnison anglaise, Toulon était reprise et copieusement pillée par les vainqueurs qui oublièrent pour la circonstance
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