Le Maréchal Suchet
peu délaissée. Par contre, il ne se montra pas brillant latiniste. Et puis il apprit les bonnes manières dont sa gouvernante lui avait enseigné les rudiments.
Trois ans plus tard, son frère suivit la même voie.
Louis-Gabriel poursuivit ses études classiques jusqu’en classe de rhétorique, correspondant à peu près de nos jours à celle de philosophie lettres. Pour l’époque, il avait acquis une solide et brillante culture qui lui permettrait plus tard de tenir une place honorable dans une conversation de salon. Du reste, Talleyrand, qui s’y connaissait, le traitera bien des années plus tard, avec peut-être une nuance d’admiration, de « quelque peu bel esprit ». Sur ce point, il sera le seul des maréchaux capable de soutenir la comparaison avec Berthier, lui-même pur produit de la cour de Versailles.
À sa sortie du collège, il avait dix-sept ans ; la carrière de Louis-Gabriel semblait toute tracée. Il entra dans l’entreprise paternelle et y apprit son métier en commençant par le bas. Pourtant, il était permis de se demander s’il choisissait la bonne voie. L’industrie de la soie traversait, en effet, une mini-crise. Les ventes étaient en pleine régression. Un des principaux clients des Lyonnais, la cour de France, en était la cause et ceci pour deux raisons.
Cédant à l’engouement de la mode, la reine s’était entichée de la récente invention d’Oberkampf : des toiles et papiers peints qui remplaçaient les tentures de soie. Second motif : succédant aux prodigalités de Calonne, Necker avait prôné l’économie et, à la somptuosité, s’était substituée la simplicité dans le costume. La haute noblesse, la grande bourgeoisie avaient suivi l’exemple. L’exportation elle-même s’était vue ralentie. À Lyon, un certain nombre de métiers à tisser avaient été arrêtés, parfois démantelés ; au plein-emploi avait fait place un certain chômage multipliant les cas sociaux à qui ne s’intéressaient que l’église et les œuvres charitables comme celle que gérait Jean-Pierre Suchet.
Pourtant, malgré cette conjoncture défavorable, Louis-Gabriel persista à travailler aux côtés de son père, estimant avec lui que la crise ne durerait pas. Cette formation axée sur la gestion d’une entreprise commerciale et industrielle semblait a priori peu propre à la réalisation d’une carrière militaire mais, à ce moment, qui y eût songé ?
En apprenant au cours de l’été 1788 que le roi Louis XVI convoquait les États généraux pour le printemps suivant, personne, les Suchet pas davantage que les autres, n’imagina les bouleversements que cela allait entraîner, aussi bien sur le plan politique qu’économique. Lorsque en janvier 1789 Jean-Pierre Suchet mourut, ses deux fils et seuls héritiers étaient encore mineurs. Louis-Gabriel n’avait que dix-neuf ans ; son frère, âgé de quinze ans, n’avait même pas terminé ses études qu’il arrêta, du reste, immédiatement. Leur oncle maternel Louis Jacquier, frère de leur défunte mère, fut nommé leur tuteur. Un de ses premiers actes fut de faire émanciper Louis-Gabriel, lui permettant ainsi d’assurer la direction de l’entreprise paternelle tout en continuant à lui prodiguer des conseils que le neveu n’était pas mécontent de recevoir.
Presque immédiatement, les deux orphelins firent connaître qu’ils entendaient, malgré les difficultés du moment, poursuivre en commun l’œuvre paternelle et pour le confirmer créèrent la société « SUCHET FRÈRES » qui remplaça celle de leur père.
Au début, Gabriel-Catherine ne joua qu’un rôle tout à fait accessoire dans la direction de l’entreprise, ayant lui aussi tout à apprendre. Cependant, il semble qu’il s’adapta assez vite à la situation.
Tout en consacrant le plus important de son temps à leur maison de commerce, Louis-Gabriel suivait avec attention les événements extérieurs d’autant que Lyon, ville très industrielle, connut quelques troubles. Les ouvriers, les canuts, frappés par le chômage, se révoltèrent, pillèrent l’octroi et essayèrent même d’enlever l’hôtel de ville.
Tout rentra assez vite dans l’ordre mais le jeune Suchet, qui avait suivi avec intérêt la transformation des États généraux en Assemblée constituante, commença à penser que les événements allaient un peu trop vite et un peu trop loin. Membre de la haute bourgeoisie lyonnaise, il ne se sentait aucun
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