Le médecin d'Ispahan
savait.
En l'an 1002,
la quatrième année de Henry à Matlock, le roi Ethelred commit une horrible
traîtrise : à la suite d'un raid de Vikings sur Southampton, qu'il
détourna une fois de plus en leur payant tribut, il fît massacrer en un seul
jour tous les Danois qu'il avait laissés s'établir sur les terres du royaume.
Alors la violence se déchaîna, on traqua les sorcières qui furent pendues ou
brûlées ; un délire sanguinaire s'empara du pays.
Un nommé
Bailey Aelerton étant mort subitement tandis qu'il binait son champ, on accusa
Farrow de l'avoir tué par envoûtement et magie noire. Menée par un voisin,
Simon Beck, une foule excitée débarqua chez lui, le dépouilla de ses vêtements
et crut trouver sur son corps des marques sataniques ; puis, lié sur une
croix de bois, on le plongea à plusieurs reprises dans la rivière, pour lui
faire avouer les crimes qu'il n'avait pas commis, tant et si bien qu'il fut noyé.
Terrifié,
impuissant devant cette haine aveugle, et risquant d'ailleurs d'être à son tour
pris à partie, Henry ne put, lorsque tout fut fini, que repêcher son maître,
lui fermer les yeux et l'enterrer au plus vite. Farrow était veuf et sans
famille. Dans sa maison déjà pillée, Henry ne trouva plus qu'un habit meilleur
que le sien, un peu de nourriture et sa trousse d'instruments de chirurgie. Il
réussit aussi à rattraper son cheval et quitta Matlock au galop avant qu'on ait
eu l'idée de le poursuivre.
Il redevint
vagabond mais, cette fois, il avait un métier et cela faisait toute la
différence. Partout, des gens dolents étaient prêts à payer un ou deux sous
pour qu'on les soigne. Il se faisait aussi de l'argent en vendant des
médicaments, et, pour attirer les badauds, il connaissait tous les trucs appris
en voyageant avec les bateleurs. Se croyant recherché, il ne restait jamais
longtemps au même endroit ; il renonça à son vrai nom et se fit appeler
« le Barbier ». Ainsi s'organisa peu à peu une vie qui lui convenait.
Il s'habillait chaudement et bien, ne manquait jamais de femmes, buvait à son
gré et mangeait prodigieusement, s'étant juré de ne plus connaître la faim.
Quand il
rencontra sa future épouse, il pesait au moins deux cent vingt livres. Lucinda
Eames était veuve et propriétaire d'une belle ferme à Canterbury. Pendant six
mois, il s'occupa des bêtes, des champs et joua au mari. Il appréciait son
petit cul blanc en forme de cœur renversé et, quand ils faisaient l'amour, elle
pointait un bout de langue rose au coin de sa bouche, comme un écolier qui
peine sur sa leçon. Elle lui reprochait de ne pas lui donner d'enfant ;
peut-être avait-elle raison, bien qu'elle n'en ait pas fait davantage avec son
premier mari. Sa voix devint criarde, son ton amer, sa cuisine négligée. Avant
la fin de la première année, Henry se rappela des femmes plus chaudes, des
nourritures plus savoureuses ; vouant au diable Lucinda et sa langue, il
partit et se remit à voyager.
Il acheta à
Bath sa première carriole et engagea dans le Northumberland son premier
apprenti. Depuis, il avait formé plus d'un gamin ; quelques petits futés
lui avaient fait gagner de l'argent, il avait appris des autres ce qu'il faut
exiger d'un apprenti. Il savait aussi ce qui attendait les incapables qu'on
renvoyait : la plupart allaient au désastre. Avec un peu de chance, ils
devenaient jouets sexuels ou esclaves ; les malchanceux crevaient de faim
ou se faisaient tuer. Cela le contrariait plus qu'il ne voulait l'avouer, mais
il ne pouvait se permettre de garder un poids mort. Rescapé lui-même, il savait
endurcir son cœur pour sa propre sauvegarde.
Le dernier,
celui qu'il avait trouvé à Londres, semblait désireux de lui plaire, mais le
Barbier savait que les apparences sont trompeuses quand il s'agit d'un
apprenti. Inutile de s'exciter là-dessus comme un chien sur un os. Le temps
serait seul juge et l'on saurait bien assez tôt si le petit Cole tiendrait le
coup.
5. LA BÊTE DE CHELMSFORD
Rob se réveilla dès l'aube et trouva son nouveau maître déjà actif et
impatient : le Barbier n'était pas de bonne humeur. Il prit une lance dans
la carriole pour expliquer comment il fallait s'en servir.
« Elle ne
sera pas trop lourde si tu la prends à deux mains. Pas besoin d'être
adroit : tu pousses de toutes tes forces. En visant au milieu du corps, tu
arriveras bien à toucher quelque chose et, si l'adversaire est blessé, j'ai des
chances de le
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