Le médecin d'Ispahan
tuer. C'est clair ? »
Rob, intimidé,
hocha la tête.
« Mon
petit gars, il faut être vigilant et avoir ses armes sous la main si l'on tient
à la vie. Les routes romaines restent les meilleures d'Angleterre mais elles ne
sont pas entretenues. C'est à la Couronne de les dégager de chaque côté pour
empêcher les brigands de piéger les voyageurs. Or, la plupart du temps, les
broussailles ne sont pas taillées. »
Il expliqua
comment atteler le cheval et, quand ils repartirent, Rob s'assit près de lui,
sur le siège du conducteur, en plein soleil, tourmenté de toutes sortes de
craintes. Le Barbier quitta la route romaine pour un chemin à peine praticable
à travers les ombres d'une forêt sauvage. Il saisit la corne saxonne – qui
avait orné le front d'un grand bœuf – et en tira un son harmonieux et puissant,
entre la menace et la plainte.
« Ceux
qui l'entendent savent ainsi que nous ne sommes ni des assassins ni des
voleurs, mais des gens de bien, capables de se défendre. »
Il proposa à
Rob d'essayer à son tour mais le gamin eut beau gonfler ses joues, l'instrument
resta muet.
« Il faut
un souffle plus mûr que le tien et un tour de main. Tu apprendras, n'aie
crainte. Et d'autres choses plus difficiles encore. »
Dans un
tournant du sentier boueux, la charrette s'embourba. Le Barbier ramassa des
branches mortes qu'il disposa devant chaque roue et, reprenant les rênes en
criant « Hue, Tatus ! », il finit par les sortir de là. Plus
loin, il s'arrêta près d'un ruisseau et Rob, qui n'avait jamais péché que dans
la Tamise, apprit l'art de prendre les truites en amorçant les lignes avec des
sauterelles vivantes qui grouillaient dans une boîte. Ce serait une de ses
tâches de la garder toujours pleine.
« On
mange deux fois par jour, dit le Barbier en apportant des champignons et des
oignons sauvages : le matin et l'après-midi. Lever à six, dîner à dix,
souper à cinq, coucher à dix, font vivre un homme dix fois dix ! »
C'était un fin
cuisinier et le repas le mit de bonne humeur. Rob se rassurait : il
n'avait jamais mangé comme cela chez lui et le travail, jusqu'à présent, ne lui
semblait pas insurmontable. Ils arrivèrent à Farnham : quelques fermes,
une pauvre auberge, une taverne qui sentait la bière, une forge, un tanneur et
un scieur de bois. Pas vraiment de place, mais au milieu du village, la rue
s'élargissait comme un serpent qui a avalé un œuf.
Le Barbier
sortit un tambour ; Incitatus se mit à hennir et Rob à tambouriner de
toute la force de ses baguettes.
« Spectacle
cet après-midi, annonça le Barbier, suivi du traitement de tous les maux,
grands et petits ! »
Le forgeron
lâcha son soufflet, les ouvriers la scierie et ils se précipitèrent pour
avertir les autres. Les femmes appelaient leurs voisines et les enfants
suivaient la charrette, qui parcourut le village avant de s'arrêter sur la
petite place. Le Barbier disposa quatre bancs pliants les uns au bout des
autres.
« C'est
l'estrade, dit-il à Rob, tu devras faire ça partout où nous irons. » Puis
il y posa deux paniers pleins de petites fioles qui contenaient chacune un
médicament. Enfin, il disparut dans la carriole et tira le rideau.
Rob, assis sur
l'estrade, regardait arriver les gens, reconnaissant le meunier à sa farine,
les menuisiers aux copeaux dans leurs cheveux. On s'installait par terre, les
femmes avec un ouvrage, un tricot ; les gosses se chamaillaient, certains
enviaient le jeune assistant. Puis le Barbier fit une entrée fracassante.
« Bon jour
et bon lendemain ! Très heureux d'être parmi vous ! »
Il se mit à
jongler, d'abord avec deux balles, une rouge et une jaune, qu'il semblait à
peine toucher de ses doigts épais. Il ajouta une verte, une bleue encore, une
brune enfin. Elles volaient en cercles sans fin, lentement, plus vite, de plus
en plus vite... les gens applaudissaient. Rob était émerveillé.
Le Barbier,
sans s'interrompre, jouait avec des assiettes de bois et des anneaux de corde,
chantait, racontait des histoires et faisait rire les spectateurs. Il escamota
un œuf, cueillit une pièce de monnaie sur la tête d'un enfant, proposa de faire
disparaître une chope de bière et, prenant celle que se hâtait d'apporter la
servante de l'auberge, il la porta lentement à ses lèvres et la vida d'un
trait. Les gens applaudirent plus fort.
Alors il
demanda si les demoiselles avaient besoin de ruban.
« Oh
oui ! oui ! s'écria
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