Le médecin d'Ispahan
bête ?
– Non, elle
est tombée malade, je l'ai sacrifiée dans un combat de chiens.
– Dommage que
tu n'aies pas eu du Spécifique, ça l'aurait guérie. »
Ils rirent
tous deux.
« J'ai un
nouvel animal, tu veux le voir ? »
– Pourquoi
pas ? » dit le Barbier. Il rangea la charrette sous un arbre et fit
paître le cheval tandis que la foule arrivait. Chelmsford était un gros
village, avec un public important.
« Sais-tu
lutter ? » demanda le Barbier à son apprenti.
Rob hocha la
tête. Il aimait se battre, comme tous les gamins de Londres.
Wat commençait
comme le Barbier, en jonglant. Il était habile, mais ses histoires amusaient
moins les gens. Ce qu'ils aimaient, c'était l'ours. La cage était à l'ombre,
couverte d'un drap. Il y eut un murmure quand Wat la découvrit. Rob avait vu un
ours dressé quand il avait six ans ; celui-ci, muselé, au bout d'une
longue chaîne, lui parut plus petit, à peine plus grand qu'un gros chien, mais
il était très beau.
« Voici
l'ours Bartram », annonça Wat.
L'animal se
coucha, fit le mort, rattrapa une balle, monta sur une échelle et en
redescendit, dansa au son de la flûte avec maladresse, et les spectateurs ravis
applaudissaient chacun de ses mouvements.
« Maintenant,
dit Wat, qui veut lutter avec Bartram ? Le vainqueur aura un pot gratuit
du fameux Onguent de Wat, qui guérit tous les maux de l'humanité. »
Il se fit un
mouvement dans la foule mais personne ne se proposa.
« Allons,
les lutteurs ! » insista Wat, provocant.
Une lueur
s'alluma dans le regard du Barbier.
« Voici
un garçon qui n'a pas froid aux yeux », dit-il à voix haute, et Rob,
stupéfait et affolé, se trouva poussé vers l'estrade où on l'aida à grimper.
« Mon
garçon contre ta bête, l'ami ! » cria le Barbier, Wat approuva et ils
se mirent à rire.
« Oh !
Mam ! » pensa Rob, figé de peur. C'était un vrai ours, aux épaules
massives, aux membres épais. Que faire, sinon sauter de l'estrade et
fuir ? Mais ce serait un défi à son maître et la fin de tous ses espoirs.
Choisissant le moindre mal, Rob affronta Bartram. Le cœur battant, il tournait
autour, les mains ouvertes comme il avait vu faire aux lutteurs. Il tenta même
de le déséquilibrer, comme il aurait fait avec un autre enfant, mais c'était
vouloir déraciner un gros arbre. L'ours leva une patte et frappa nonchalamment.
Ses griffes étaient rognées mais le coup renversa le garçon qui se vit perdu
sans ressource. Dès qu'il se releva, Bartram, avec une agilité surprenante, le
saisit et Rob se sentit étouffé contre cette fourrure aussi puante que celle où
il dormait la nuit ; tout en luttant, il regarda les petits yeux rouges et
inquiets. L'ours n'était pas plus adulte que lui et il avait peur, lui
aussi ; sans sa muselière de cuir, il aurait mordu.
Wat tendit la
main vers le collier de sa bête, qui recula aussitôt, lâcha sa victime et tomba
sur le dos.
« Plaque-le,
bêta ! » souffla l'homme.
Rob se
précipita et toucha le pelage sombre des épaules, ce qui n'impressionna
personne, mais les gens s'étaient amusés et ils étaient de bonne humeur. Wat
enferma Bartram et donna, comme promis, un petit pot d'onguent au jeune
lutteur, avant d'aller vanter aux spectateurs les mérites de son produit.
« Tu ne
t'es pas mal débrouillé, dit le Barbier à son apprenti qui revenait à la
charrette, les jambes en coton. T'as foncé !
– Il m'aurait
fait du mal », dit Rob en reniflant, niais conscient de sa chance. Son
maître secoua la tête en souriant.
– Tu n'as pas
vu la petite poignée sur son collier ? Elle permet, en le serrant, de
couper la respiration de l'animal s'il désobéit. C'est comme cela qu'on dresse
les ours. »
Il lui tendit
la main pour l'aider à monter, puis il prit un peu d'onguent et le frotta entre
le pouce et l'index.
« Du
suif, du lard et un soupçon de parfum... Et il en vend beaucoup, dit-il,
songeur, en regardant la file des clients de Wat qui lui tendaient leurs sous.
Un animal est une garantie de succès. On peut bâtir un spectacle avec des
marmottes, des chèvres, des blaireaux, des chiens, même des lézards. Et on
gagne comme cela plus d'argent que moi quand je suis seul. »
Le cheval
s'engagea sur le chemin des bois, laissant derrière eux Chelmsford et l'ours
lutteur. Rob était encore sous le choc. Immobile il songeait.
« Alors,
pourquoi vous ne faites pas un spectacle avec un animal ? »
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