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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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trop fatigué, même pour cela. Les longs pieux et
les entretoises que réclamait le travail des quais devaient être équarris dans
des rondins de chêne noir, puis profondément enfoncés sous le lit du fleuve
pendant la marée basse. Il travaillait dans le froid et l'humidité. Comme le
reste de l'équipe, il y contracta une toux sèche, caverneuse, et rentrait
toujours épuisé.
    On trouva dans
la boue de la Tamise une sandale romaine aux longues lanières de cuir, une
lance brisée, des tessons de poteries. Nathanael rapporta un silex taillé en
pointe de flèche aussi coupant qu'un rasoir, découvert à six mètres de fond.
    « C'est
romain ? demanda Rob, passionné.
    – Peut-être
saxon », répondit son père en haussant les épaules.
    Pas de doute
en revanche sur la monnaie trouvée un peu plus tard. En frottant la pièce avec
des cendres mouillées, Rob fit apparaître sur l'une des faces noircies les
mots : Prima Cohors Britaniae Londonii . Son latin d'église ne
l'aida guère.
    « C'était
peut-être la première cohorte qui était venue à Londres ? »
    Sur l'autre
face, il y avait un Romain à cheval et trois lettres : IOX.
    « Qu'est-ce
que ça veut dire ? » demanda le père.
    Rob n'en
savait rien. Mam aurait su, elle. Mais à qui demander maintenant ?
     
    Les enfants
étaient tellement habitués à la toux de Nathanael qu'ils ne l'entendaient plus.
Mais, un matin que Rob nettoyait la cheminée, on frappa doucement à la porte.
C'était Harmon Whitelock, un compagnon de son père, accompagné de deux esclaves
qui ramenaient Pa.
    Les esclaves
terrifiaient Rob. Il y a plusieurs façons pour un homme de perdre sa
liberté : prisonnier de guerre, condamné comme criminel ou
insolvable ; sa femme et ses enfants deviennent esclaves avec lui, et pour
plusieurs générations. Ces esclaves-là étaient grands et musclés, avec le crâne
rasé, marque de leur condition, et leurs guenilles puaient abominablement. On
n'aurait su dire s'ils étaient anglais ou étrangers : c'étaient des muets
au regard fixe. Ils effrayèrent Rob plus encore que le visage exsangue du père,
dont la tête ballottait tandis qu'ils le posaient sur le lit.
    « Qu'est-ce
qui est arrivé ? » demanda-t-il.
    Whitelock
haussa les épaules.
    « Quelle
misère ! La moitié de l'équipe est comme ça, à tousser et cracher sans
cesse. Ton père était si faible qu'il n'a pas résisté quand on a commencé le
gros œuvre. J'espère qu'après un peu de repos il pourra retourner aux
quais. »
    Le lendemain
matin, Nathanael fut incapable de se lever, sa voix était rauque. Mme
Hargreaves lui apporta une infusion chaude adoucie de miel et s'installa près
de lui ; ils parlaient à voix basse et elle rit une ou deux fois. Mais,
quand elle revint le jour suivant, il avait une forte fièvre et n'était plus
d'humeur à badiner. Elle fut vite partie.
    La langue et
la gorge devinrent rouge vif ; il demandait sans cesse à boire. La nuit,
il fit un cauchemar : ces salauds de Vikings remontaient la Tamise sur
leurs drakkars à la proue recourbée. Sa poitrine s'étouffait de crachats dont
il ne pouvait se débarrasser. Sa respiration devenait difficile. Rob alla
chercher la voisine, qui refusa de venir.
    « Ça m'a
tout l'air d'un muguet, et c'est très contagieux ! » dit-elle en
refermant la porte.
    Ne sachant que
faire, Rob retourna à la guilde. Richard Bukerel l'écouta, l'air grave,
l'accompagna chez lui, s'assit au chevet de Nathanael et nota le visage
congestionné, le râle... Le plus simple aurait été d'appeler un prêtre pour
allumer les cierges et réciter les prières. Personne ne lui en aurait fait
reproche. Mais, sachant ce qui attendait les orphelins, il envoya chercher un
médecin, qu'on paierait sur les fonds de la guilde.
    Sa femme le
tança vertement :
    « Un
médecin ? Nathanael est-il noble ? Si un simple chirurgien suffit aux
pauvres de Londres, pourquoi faudrait-il à Cole un médecin qui nous coûte si
cher ? »
    Thomas
Ferraton, médecin au teint fleuri, arriva chez les Cole comme l'image vivante
de la prospérité : un pantalon coupé avec élégance, des manchettes ornées
de dentelle – Rob en eut le cœur serré, pensant à sa mère –, la tunique de
laine fine tachée de sang et de vomissures arborée fièrement comme l'emblème de
sa profession. Fils d'un riche marchand, il avait étudié chez un médecin, issu
lui-même d'une famille prospère d'armuriers, qui soignait les

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