Le méridien de Paris - Une randonnée à travers l'histoire
proposait les pièces à jouer.
la noblesse. Le révolutionnaire Danton
déclara même : « Figaro a tué la noblesse ».
La jeunesse de Talma
Lorsque Beaumarchais voulut faire jouer
Tout comme l’église catholique estimait
son Figaro , le roi Louis XVI exigea de le lire qu’une actrice péchait autant que n’importe
d’abord. « C'est détestable, cela ne sera
quelle traînée, les comédiens ne jouissaient
jamais joué : il faudrait détruire la Bastille généralement pas de droits citoyens, pour
pour que la représentation de cette pièce ne
autant qu’il y en ait. Ils dépendaient de la
fût pas une inconséquence dangereuse. Cet
bonté du roi. Le comte Honoré Gabriel
homme déjoue tout ce qu'il faut respecter
Riqueti de Mirabeau (1749-1791), membre
dans un gouvernement » déclara-t-il. À
progressif des États généraux de 1789,
quelques années de la Révolution de
réformateur mesuré, défenseur d’une
1789, ce furent en quelque sorte des
monarchie constitutionnelle et grand orateur, paroles prophétiques.
réclama les mêmes droits de citoyenneté
Un comte plus ou moins dissident, le
« pour les juifs, les protestants et les
comte de Vaudreuil, fit jouer la pièce dans
acteurs » que pour tous les autres. Ce fut
son domaine privé de Gennevilliers dans
chose faite en décembre 1789.
l’actuelle banlieue, ce qui finit évidemment
Grâce à la Révolution, la Comédie-
par se savoir, provoquant tumulte et sensation.
Française put également se renouveler,
Sur l’insistance de nombreuses personnalités, surtout grâce au jeu du jeune pensionnaire
le roi céda. La pièce déjà si contestée devint un François Joseph Talma (1763-1826), né à
énorme succès. Les sociétaires purent
Paris mais fils d’un dentiste d’origine
compter sur une grosse part de bénéfice ; pour frisonne. Dans Brutus de Voltaire, le tragédien la première fois un écrivain faisait fortune grâce monta sur scène jambes nues, les cheveux
à une pièce. Beaumarchais toucha quarante
courts et vêtu d’une simple toge classique. La mille francs de droits, ce qui était alors une mode de l’époque étant au pathos et aux
somme colossale. Le roi et ses nobles
mises en scène surchargées, ce fut une
privilégiés souffraient de gros dégâts poli-
révolution en soi. Une célèbre comédienne
tiques. Napoléon estimerait quelques décen-
d’un certain âge s’écria : « Voyez donc
nies plus tard en homme d’État chevronné :
Talma, qu'il est laid ! Il a l'air d'une statue
« Sous mon règne un tel homme eût été
antique ».
enfermé à Bicêtre. On eût crié à l’arbitraire, D’un coup, Talma devint populaire, et il saisit mais quel service c’eût été rendre à la
le pouvoir. Ici comme ailleurs, on vit l’abolition société !... Le Mariage de Figaro , c’est déjà des privilèges et du favoritisme qui continuaient 95
L e M é r i d i e n d e P a r i s
par exemple à attribuer à de très vieux acteurs les rôles de jeune premier. Il était ainsi arrivé que le chevalier si jeune et impétueux sur le papier, doive sur scène s’appuyer sur deux
écuyers chaque fois qu’il se jetait à genoux
devant sa dame. L’acteur qui jouait le rôle était si âgé qu’il menaçait de perdre son équilibre ou son souffle quand il devait se relever, avec un élan juvénile de préférence.
L’ordre établi est menacé
Jean-Sylvain Bailly, maire de Paris depuis juillet Les collègues menacés n’appréciaient pas
1789, apporta son soutien au jeune Talma.
cette attaque contre l’ordre établi. La
(1793), Odéon (1797) et Théâtre de
représentation de Charles IX de Mariel’Impératrice (sous Napoléon). Ce qui était le Joseph de Chénier, une attaque violente
Théâtre du Palais-Royal devint le Théâtre de la contre le rôle de la monarchie et de l’église Liberté et de l’Égalité puis Théâtre de la
catholique dans la funeste nuit de la Saint-
République. Avant son arrestation, le roi se
Barthélemy (voir aussi le chapitre « Le palais montra une fois à l’Odéon avec son épouse, ils du Louvre »), leur fournit l’excuse pour mettre boudèrent les dissidents de la rive droite.
Talma à la porte. La pièce était une poudrière politique. Sous la pression du peuple, le roi Le théâtre sous la Révolution
venait de quitter Versailles pour revenir dans son palais des Tuileries, et cette dure critique Le régime révolutionnaire
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