Le méridien de Paris - Une randonnée à travers l'histoire
renforçait constam-de ses ancêtres était donc un défi direct lancé ment la censure. Il fallait supprimer des
contre le monarque et son pouvoir absolutiste passages dans les pièces classiques,
toujours en vigueur. Danton finissait ainsi sa même celles de Molière. Les jacobins fana-phrase que nous avons citée plus haut : « Si
tiques – à l’origine de la Terreur – considéraient Figaro a tué la noblesse, Charles IX tuera la de plus en plus les représentations au Théâtre royauté ».
de l’Égalité comme des provocations. Le
Mais la goutte qui fit surtout déborder le vase Théâtre de l’Odéon fut fermé et ses acteurs
pour une partie des sociétaires, ce fut que le arrêtés. Collot d’Herbois, comédien raté et
jeune Talma s’attribua le rôle principal quand auteur aigri d’après Patrick Devaux dans
un comédien plus âgé déclara forfait. Ils
La Comédie-Française, était chargé des votèrent son renvoi. Le maire révolutionnaire affaires de théâtre en tant que membre
de Paris, Bailly, menaça alors de fermer les
exécutif du Comité de salut public. Il apposait théâtres si les représentations avec Talma ne la lettre G sur les papiers de ceux qui ne lui reprenaient pas leur cours. Talma revint. Le
étaient pas agréables. G pour guillotine.
résultat fut un schisme : une partie des socié-
Ce même Comité comptait un autre acteur
taires traversa la Seine et s’installa dans ce dans ses rangs, Charles-Hippolyte Delpeuch
qui est aujourd’hui le Théâtre de l’Europe
de Labussière. Ce dernier était chargé de
(Odéon), et qui s’appela alors successivement, rassembler des preuves. Aussi rusé que
au rythme des changements politiques :
courageux, il parvint à créer le désordre.
Théâtre français (1782), Théâtre de la Nation De manière inexplicable, les dossiers
(1789), Théâtre de l’Égalité, section Marat
étaient incomplets ou inexacts, des papiers
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L e M é r i d i e n d e P a r i s
disparaissaient pour être retrouvés
national. Lors du siège de Paris par les
ailleurs. D’incessants ajournements en
Prussiens de Bismarck en 1870, ce fut
résultaient. C’est ainsi qu’il sauva ses
Madame Agar qui fit vibrer les foules en
camarades dont l’infinie gratitude ne s’exprima répétant la Marseillaise quarante-quatre fois qu’en 1803 à travers un spectacle de charité
en une seule soirée. Comme si cela com-
au profit de leur sauveur qui vivait dans une pensait le manque d’armes et de nourriture.
misère noire.
Et de tous temps, il y avait bien sûr les
En 1799, un incendie éclata à l’Odéon, la
messieurs, blottis dans l’obscurité de leur
Terreur avait pris fin quatre ans plus tôt,
loge, qui développaient des passions
l’heure était à la réconciliation. La compagnie secrètes pour ces beautés sur la scène. Ils
divisée en deux camps fut réunie par le
louaient leurs charmes, et parfois payaient
nouveau régime et Talma psalmodia : « Quelle
pour les posséder. Certaines tragédiennes
Jérusalem nouvelle sort du fond du tombeau
étaient des légendes vivantes, elles le
brillante de clarté ? » La question était
restèrent après leur mort.
rhétorique ; la Comédie-Française renaissait
de ses cendres. La troupe renouvelée attaqua
La Clairon et Rachel,
avec Le Cid de Corneille, et depuis ce jour-là, elle n’a plus quitté le Théâtre français.
deux actrices phares
Parmi elles, Claire-Joseph Leiris dite La
Clairon (1723-1803). Elle disait d’elle-même
Le beau rôle des actrices
qu’elle apprenait aussi facilement les secrets Mis à part le célèbre Talma, considéré en
du plaisir sensuel que les répliques de
son temps comme un grand innovateur dra-
théâtre. Elle devint ainsi célèbre à plusieurs matique, ce sont surtout les actrices de la
égards : « Paris m’a adorée, j’ai régné en
Comédie-Française qui ont accédé à une
Bavière, j’ai traversé les guerres, les
renommée éternelle. Les femmes tenaient
révolutions. J’ai connu la misère, la honte,
les premiers rôles dans les tragédies, un
la souffrance, la maladie. J’ai fréquenté
genre considéré comme supérieur aux
beaucoup d’hommes et quelques femmes,
comédies. Elles s’étaient spécialisées dans
j’ai partagé les secrets de leur vie ». Il y a ces pièces pleines de destinées inélucta-quelques années, Edwige Feuillère, elle-
bles, de dénouements dramatiques et
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