Le pays de la liberté
que je jure et que je crache ? ª Ils faisaient ça quand ils étaient enfants, pour sceller une promesse.
´ Je veux que tu le fasses ! ª
II voyait bien qu'elle parlait sérieusement. Il cracha dans sa paume, tendit le bras à travers la table et
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lui prit une main dans la sienne. ´Je jure que je te ferai venir. - Merciª, dit-elle.
On avait prévu une chasse au cerf pour le lendemain matin et Jay décida d'y aller. Il avait envie de tuer quelque chose.
Il ne prit pas de petit déjeuner, mais bourra ses poches de g‚teaux au whisky, des petites boulettes d'avoine trempées dans de l'alcool. Puis il sortit pour voir le temps qu'il faisait. Le jour se levait tout juste. Le ciel était gris, les nuages étaient hauts et il ne pleuvait pas : on y verrait assez pour tirer.
Il s'assit sur les marches du perron et adapta un nouveau silex taillé en biseau dans la détente de son fusil, le fixant solidement en place avec un tampon de cuir souple. Peut-être que massacrer quelques cerfs allait apaiser un peu sa rage, mais il aurait préféré tuer son frère Robert.
Il était fier de son arme. C'était un beau fusil avec un mécanisme anglais et un canon espagnol. Il arma la platine à silex et visa un arbre de l'autre côté de la pelouse. L'úil collé au canon, il s'imagina avoir devant lui un grand cerf. Il visa sur le tronc un point à gauche de la poitrine, juste derrière l'épaule, là o˘ battait le cúur volumineux de l'animal. Puis il changea l'image dans sa tête et aperçut Robert dans son viseur : Robert sévère et entêté, d'une avidité inlassable, avec ses cheveux bruns et son visage bien nourri. Jay pressa la détente. De la platine à silex jaillit une satisfaisante gerbe d'étincelles, mais il n'y avait pas de poudre dans la culasse et pas de balle dans le canon.
Il chargea son fusil d'une main qui ne tremblait pas. Il enfonça la balle aussi loin qu'elle voulait aller. Elle avait environ un demi-pouce de diamètre. Elle pouvait tuer un cerf adulte à cent mètres : elle ferait voler en éclats les côtes de Robert, lui transpercerait le poumon et déchiquetterait le muscle de son cúur, le tuant en quelques secondes.
Il entendit sa mère le saluer : ´ Bonjour, Jay. ª II se leva et l'embrassa pour lui souhaiter le bonjour. Il ne l'avait pas vue depuis la veille au soir, quand elle avait envoyé son père au diable et était sortie comme un ouragan. Ce matin, elle semblait lasse et triste. ´Vous avez mal dormi, n'est-ce pas?ª Elle acquiesça. ´J'ai connu de meilleures nuits.
- Pauvre mère.
- Je n'aurais pas d˚ maudire ton père de cette façon. ª
D'un ton hésitant, Jay dit: ´Vous avez d˚ l'aimer... jadis. ª
Elle poussa un soupir. ´Je ne sais pas. Il était beau, riche, il avait un titre de baronnet et je voulais être sa femme.
- Mais aujourd'hui vous le détestez.
- Depuis le jour o˘ il s'est mis à préférer ton frère. ª
Jay s'emporta soudain. Ón pourrait penser que Robert verrait ce que tout cela a d'injuste !
- Je suis certaine qu'au fond de son cúur il s'en rend compte. Mais je crois malheureusement que Robert est un jeune homme très cupide. Il veut tout.
- Il a toujours été ainsi. ª Jay se rappelait Robert enfant: jamais plus heureux que quand il s'était emparé des soldats de plomb de Jay ou de sa part de pudding. ´ Vous vous souvenez de Rob Roy, le poney de Robert?
- Oui, pourquoi ?
- Il avait treize ans et j'en avais huit quand on lui a offert ce poney.
Je mourais d'envie d'en avoir un - et, même alors, j'étais bien meilleur cavalier que lui. Mais pas une fois il ne m'a laissé le monter. S'il ne 58
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voulait pas le faire lui-même, il demandait à un garçon d'écurie de travailler Rob Roy pendant que je regardais, plutôt que de me laisser le sortir moi-même.
- Mais tu montais les autres chevaux.
- ¿ dix ans, j'avais monté tout ce qu'il y avait d'autre aux écuries, y compris les chevaux de chasse de Père. Mais pas Rob Roy.
- Allons faire un tour dans l'allée. ª Elle portait une pelisse doublée de fourrure avec un capuchon et Jay avait son grand manteau à carreaux. Ils traversèrent la pelouse, l'herbe glacée crissant sous leurs pas.
´qu'est-ce qui a rendu mon père comme ça? demanda Jay. Pourquoi me déteste-t-il ? ª
Elle lui caressa la joue. ÍI ne te déteste pas, dit-elle, même si on pourrait t'excuser de le penser.
- Alors pourquoi me traite-t-il si mal ?
- Ton père était un pauvre homme quand il a épousé
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