Le pays des grottes sacrées
la
plupart des femmes depuis quelques années. Avec une louche taillée dans une
corne d’ibex, elle préleva une partie du contenu en ramassant bien le fond et
prit avec les doigts quelques morceaux de viande froide et une racine un peu
ramollie, puis approcha le pot du feu et, avec des pincettes en bois recourbé,
poussa quelques braises autour.
Elle alimenta le feu avec un peu
de petit bois, puis s’assit en tailleur sur un coussin en attendant que les
pierres chauffent pour amener l’eau à ébullition et ferma les yeux. Elle était
fatiguée. L’année précédente avait été particulièrement éprouvante pour elle car
elle avait dû souvent veiller la nuit. Elle faillit s’assoupir.
D’une pichenette, elle projeta
sur les pierres de cuisson quelques gouttes d’eau qui s’évaporèrent en
sifflant, puis avec les pincettes en bois aux extrémités noircies elle prit une
pierre dans le feu et la laissa tomber dans le bol d’eau. L’eau bouillonna et
dégagea un nuage de vapeur. Elle ajouta une deuxième pierre, puis une
troisième, attendit quelques instants, préleva un plein bol d’eau fumante, y
jeta quelques pincées de feuilles séchées prélevées dans l’un des paniers
fermés alignés sur une étagère près du foyer et reposa le bol en attendant que
la tisane infuse.
Elle vérifia le contenu d’un
petit sac suspendu à une cheville fichée dans l’un des poteaux de
soutènement : deux petits morceaux plats de ramure de mégacéros et un
burin en silex dont elle se servait pour entailler les plaques de corne. Elle
s’assura que l’extrémité biseautée de l’outil était toujours bien affûtée, car
elle s’épaufrait à l’usage. En guise de poignée, l’autre extrémité avait été
insérée dans un bout de ramure de chevreuil ramolli dans l’eau bouillante, qui
avait durci à nouveau en séchant. Sur l’une des deux plaques de corne elle
avait consigné les couchers du soleil et de la lune ; sur la deuxième,
elle avait fait des marques indiquant le nombre de jours écoulés d’une pleine
lune à la suivante, d’autres montrant l’absence de lune et deux demi-disques
tournés en sens inverse. Elle attacha le petit sac à la lanière passée autour
de sa taille, puis versa à la louche un peu de soupe chaude dans un bol en bois
et but, en s’arrêtant de temps en temps pour manger un morceau de viande.
Dans son coin à dormir, elle alla
chercher son manteau doublé de fourrure à capuchon et s’en enveloppa les
épaules – il faisait froid la nuit, même en été –, prit la tasse
d’infusion et sortit du gîte. Elle retourna vers le sentier qui montait à
l’arrière de l’abri, juste après le bord du surplomb, et commença à grimper en
se demandant où était Loup. Il était souvent son seul compagnon au cours de ses
longues nuits de veille, couché par terre à ses pieds quand elle restait assise
au sommet de la falaise, emmitouflée dans des vêtements chauds.
Non loin de l’étrange roche
penchée profondément enchâssée dans le haut de la falaise, le sol portait les
marques circulaires noires couvertes de charbon de bois calciné et entourées de
pierres des foyers ; quelques gros galets faisaient de bonnes pierres de
cuisson. À côté d’un affleurement rocheux, une dépression avait été creusée
dans le calcaire friable près de la colonne penchée. Un grand panneau d’herbe
sèche tressée était appuyé contre la pierre pour protéger de la pluie. Dessous
étaient rangés deux ou trois bols, dont un pour la cuisson, et un sac de cuir
contenant quelques objets : un couteau en silex, deux sachets de tisane,
de la viande séchée. Tout près, une fourrure roulée renfermait une pochette de
cuir brut contenant le matériel nécessaire à faire du feu, une lampe en pierre
rudimentaire, quelques mèches et quelques torches.
Ayla mit de côté la
pochette ; elle n’allumerait pas de feu avant le lever de lune. Elle étala
la fourrure et s’installa à sa place habituelle, le dos calé contre
l’affleurement, afin d’observer l’horizon à l’ouest. Elle prit dans son petit
sac les plaques en corne et le burin de silex, regarda attentivement ce qu’elle
avait consigné jusque-là concernant le coucher du soleil, puis tourna à nouveau
les yeux vers l’occident.
La nuit précédente, le soleil
s’est couché juste à gauche de cette petite éminence, se dit-elle en plissant
les yeux pour ne pas être éblouie.
L’astre du jour
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