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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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surveiller.
    — Cela me paraît improbable. Fédor Maximov quitte rarement sa résidence de Saint-Pétersbourg, il est garde équestre de Nicolas II. Espérons que l'affriolante Eudoxie ne fomente pas de desseins nuisibles, murmura Victor en triturant l'enveloppe.
    — Une fois encore, remarqua Joseph, Kenji a raison quand il affirme : Si du malheur veux te préserver, au bal ne va pas danser.
    La gravure dénichée dans l'ouvrage gaillard refusait de s'effacer de son esprit.
     
    Comment était-il possible de peindre des horreurs pareilles avec une telle minutie ? Mélie Bellac ferma le portfolio et le flagella de son plumeau. Mais ce fut plus fort qu'elle, il lui fallut derechef étudier les estampes polychromes que M. Mori conservait entre deux serpentes. Un examen superficiel n'établissait pas d'emblée le sport auquel s'adonnaient, avec un certain détachement, l'Asiatique vêtu d'un kimono orné de figures géométriques et sa compagne drapée de soie. Seul un œil attentif parvenait à déceler les attributs de leur genre livrés à une besogne censurée par la décence. Tandis qu'elle s'abîmait dans la contemplation de cet étrange accouplement, Mélie se souvint de ses lointaines fiançailles avec un mitron bourguignon en apprentissage à Tulle. Ils n'avaient échangé que deux ou trois baisers avant que Tiénou ne continue son tour de France. Depuis lors, nul homme n'avait touché Mélie et franchement, au vu de ce qu'elle découvrait à l'intérieur du carton à dessins de son patron, elle n'en éprouvait pas le moindre regret.
    Elle poursuivit son ménage en fredonnant :
    Ce n'est pas l'état des filles
    De courir les garçons.
    Mais c'est l'état des filles
    D'nettoyer les maisons,
    D'nettoyer les maisons, zon, zon, zon !
    Le miroir de la salle de bains lui révéla deux rides et quelques cheveux gris. Elle choisit d'en rire et se tira la langue... Du moment qu'on lui fichait la paix !
    Elle s'attela à la préparation du déjeuner : endives au jus, filet de bœuf, crème renversée. Elle roussissait la farine quand un pas lourd lui signala que son ennemie jurée, Euphrosine Pignot, la mère du gendre de M. Mori, se livrait à une tournée d'inspection. Elle marmonna
    — Quel salmigondis, cette famille ! Un dragon qui m'cherche des poux, des Jaunes, des Blancs, des Ruskofs, des English ! Y a d'quoi y perdre son latin !
    Elle rentra les épaules pour affronter l'orage.
    — Ma pauv'fille ! Des légumes insipides, c'n'est pas c'qui convient à un monsieur fin gourmet, surtout maintenant qu'y a quelqu'un dans sa vie. Décidément, vous battez la campagne.
    — J'me contente de battre des œufs.
    — Et insolente, avec ça ! De mon temps on profitait des plaisirs de la table !
    Du seuil de la cuisine, Euphrosine Pignot décocha sa flèche du Parthe.
    — Y a des grumeaux dans votre roux ! La classe, c'est ce qui vous fait défaut, godiche. Ça me désole, je me retire.
    — C'est ça, ôte-toi de mon soleil, mâchonna Mélie Bellac, elle me pigougne cette baluche 4 . La prochaine fois je leur mitonnerai un infâme rata de rutabagas, ils se pourlècheront.
    Euphrosine descendit dignement l'escalier. Elle se réjouissait d'exhiber sa jupe en satin garance, son chapeau à plume et son caraco vert amande à son amie Micheline Ballu.
    Ployée vers le carrelage, la concierge du 18 bis tordait sa serpillière au-dessus d'un seau empli d'une eau noirâtre, quand un bougnat s'engagea sous le porche.
    — Stop, on ne passe pas ! cria-t-elle. J'viens d'laver !
    — Faut qu'je livre, ma p'tite dame.
    — Vous salopez les escaliers, gronda Euphrosine, plaquée au mur. Ah, c'est fort, hein, Micheline, un peu plus, il m'tachait ma toilette. Vous avez vu si elle est belle ?
    — Attention, madame Pignot, vous allez faire flotter ! Les plumes de votre bibi chatouillent les nuages ! riposta rageusement la concierge, honteuse de sa robe de pilou.
    — Jésus-Marie-Joseph, une chance que je loge ailleurs, c'est pire qu'une basse-cour, ici ! Ah, je vais en avoir des choses à noter dans mon journal, ce soir, se promit Euphrosine, en quête de l'omnibus qui la mènerait rue Fontaine au domicile de M. et Mme Legris.
     
    L'omnibus se traînait avenue du Général-MichelBizot. Pauline Drapier était assise près de la vitre. Autour d'elle, l'apport ordinaire de femmes à paniers, d'employés, de petits vieux, d'ouvrières somnolentes formait le contingent d'une voiture au complet. L'avenue était embouteillée de fiacres et de

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