Le peuple du vent
de terre. Une voix caverneuse résonna à ses oreilles. Il se débattit, ruant des jambes et des bras, puis le monde s’effaça. Il s’était évanoui.
Il raconta plus tard qu’il avait été enlevé par des diables aux yeux pâles. Sous leurs manteaux, leurs corps étaient faits d’écaillés d’or et d’argent. À leurs ceintures étaient passées d’immenses lames courbes à la garde recouverte de pierres sanglantes. Leurs chevaux ne galopaient pas, ils volaient, indifférents aux dangers des marais. Ils étaient plus hauts et lourds que des chênes, plus noirs que la nuit.
Malgré les ténèbres, ils étaient arrivés au château de Pirou en suivant les rayons de lune qui leur montraient le chemin. Devant la douve, à la première porte, l’un des cavaliers avait sonné du cor. Une sonnerie qui ressemblait au cri perçant des aigles de mer. Il avait clamé un nom que l’enfant n’avait pas compris, un nom étrange qui ressemblait au latin de la messe. Du haut du donjon, un guetteur avait donné l’alerte. Le cor avait à nouveau sonné. Puis soudain, le pont-levis s’était abaissé et le seigneur du château était apparu sur son palefroi. Il s’était incliné devant les diables et tous trois étaient entrés au pas de leurs chevaux. Les portes s’étaient refermées dans un bruit de tonnerre. Le silence était retombé sur la lande.
La lune avait disparu, dévorée par les nuages. Et lui, il était resté seul, immobile et tremblant, avec à la main une pièce d’or.
4
— Le bonjour, dame Bertrade ! Bonjour, damoiselle Clotilde.
La voix était douce, teintée d’un accent chantant. C’était celle d’un des étrangers. L’homme au caftan brodé, Hugues de Tarse.
Elle n’avait pas eu le temps de répondre, il était déjà entré dans le donjon.
Quand étaient-ils arrivés ceux-là ?
La vieille Bertrade essaya de se rappeler... Il n’y avait guère plus de cinq nuits. L’un des guetteurs lui avait raconté comment ils étaient apparus aux portes du château un soir de brouillard et de tempête. Les gardes en parlaient encore tant cette apparition avait été effrayante.
Personne, sauf les démons et les goubelins, ne chevauche sur la lande la nuit.
Et pourtant, Serlon de Pirou, le seigneur et maître des lieux, n’en avait plus que pour cet Oriental et son disciple, comme s’ils étaient quelques redoutables et puissants seigneurs.
Bertrade secoua la tête.
Ils avaient la peau hâlée des Maures, portaient des robes rehaussées de broderies d’or et d’argent et leurs armes étaient aussi courbes et tranchantes que les griffes des furets...
— Bertrade, attends, faut que j’te montre, fit la petite voix de Clotilde qui marchait à ses côtés.
— Non, pas maintenant, répondit-elle fermement.
Mais il était déjà trop tard, la fillette, assise par terre, fouillait dans la poche de son tablier, posant pêle-mêle autour d’elle des cailloux, un bouton de nacre, une boucle de ceinture, des jetons de trictrac et un dé. Enfin, ses doigts se refermèrent sur ce qu’elle cherchait. Elle poussa un cri de joie et leva vers la nourrice un écureuil en bois.
— L’est joli, hein ! T’as vu, c’est Tancrède qui l’a fait tout exprès pour moi. Et il m’a aussi donné un lapin et une chouette !
Bertrade sourit malgré elle.
Depuis l’arrivée des Orientaux, tous les enfants du château avaient de nouveaux jouets. Quand il ne chevauchait pas comme un furieux sur la lande ou ne s’entraînait pas dans la salle d’armes, le plus jeune des deux, Tancrède, s’installait sur un banc pour sculpter le bois.
Au moins, celui-là, n’eût été sa peau trop foncée, il ressemblait presque à un Normand.
L’autre, par contre...
La fillette avait à nouveau rangé ses trésors dans sa poche.
— Bon, je te laisse, fit-elle soudain.
— Mais tu avais promis que ce matin tu viendrais voir ta mère. Clotilde ! Reviens !
La gamine était déjà loin. Bertrade haussa les épaules. Elle avait toujours dit à Muriel qu’elle avait besoin d’être tenue. Une sauvageonne, voilà ce qu’elle était !
Bertrade alla en cuisine avaler son bol de brouet et faire préparer celui de sa maîtresse.
5
Ce matin-là, en ouvrant les yeux, Muriel se sentit presque bien. Il n’y avait pas de monstre dans la chambre, ni de chimère ni de papillons noirs. Elle savait qui elle était. Ce qu’elle aimait, le nom de ses enfants, celui de son frère.
Elle aspira l’air
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