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Le peuple du vent

Le peuple du vent

Titel: Le peuple du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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d’ardoise. Sur cet autel primitif, Baptiste déposait chaque jour, au hasard de ses promenades solitaires sur la lande, une pierre, des plumes de cygne, des branches de bruyère ou de bouais jan, les ajoncs aux fleurs d’or.
    Dans une niche creusée dans la paroi, une statue de bois représentait saint Laurent au pied duquel, nuit et jour, brûlait une petite lampe à huile.
    Nul autre meuble qu’un solide coffre de cuir où le religieux enfermait le calice, l’encensoir et les bougeoirs d’argent et de vermeil offerts jadis à saint Laurent par Guillaume, seigneur de Pirou, écuyer tranchant et grand sénéchal de Normandie, mort en 1120 dans le naufrage de la Blanche-Nef.
    Sur le dallage, des brassées de menthe d’eau que foulaient les fidèles, soldats, gens du château, paysans et pêcheurs des environs.
    Malgré son âge, l’aumônier de Pirou avait gardé la stature lourde d’un bûcheron. Il était né à Coutances et avait le parler âpre des gens de la côte. Tous le respectaient et le considéraient comme l’un des leurs. Vêtu de sa longue robe marron, pieds nus dans ses sandales été comme hiver, le visage sévère, le regard pénétrant, il ne dédaignait pas, la saison venue, de prêter sa force aux travaux des champs. En matière religieuse, il aimait à faire court, distribuant la parole de Dieu et les pénitences avec parcimonie. Il salua l’auditoire d’un signe de tête et commença sa lecture :
    Le bouclier qui me couvre, c’est Dieu,
le sauveur des coeurs droits
Dieu le juste juge
lent à la colère
mais Dieu en tout temps irritable
pour qui ne revient {2} .
    Alors qu’il disait ces mots, les yeux de Baptiste parcoururent l’assemblée. Chacun semblait réagir à son rude message. Les pieds raclaient le sol. On toussotait. Le visage de Serlon s’était durci. Muriel remua sur sa chaise, mal à l’aise. Son fils Mauger, qui l’avait rejointe avec sa cousine Randi, se pencha vers elle :
    — Ça va, mère ?
    — Oui, souffla Muriel en agrippant sa main qu’elle garda dans la sienne.
    Ranulphe et Serlon se tenaient debout à ses côtés avec les étrangers.
    Sigrid, la fille aînée de Serlon, s’était placée le long du mur. Sans se soucier de la lecture du texte sacré, elle observait les invités de son père à la dérobée. Les étrangers la fascinaient. Un mystère les entourait qu’elle n’avait pas réussi à élucider. Ils étaient arrivés de nuit voilà bientôt cinq jours et son père les avait reçus comme des princes dont ils avaient les manières raffinées et les vêtements singuliers. Ils avaient en commun des yeux d’Orientaux ombrés de longs cils, la peau mate et d’épais burnous de laine noire recouvrant leurs habits. Mais la ressemblance s’arrêtait là.
    Le plus âgé des deux – il devait avoir une quarantaine d’années –, Hugues de Tarse, était de petite taille, avec un visage aux traits réguliers d’une finesse presque féminine qu’encadraient des cheveux noirs bouclés. L’autre, Tancrède, n’avait pas vingt ans ; les yeux verts, mince et blond, il dépassait le seigneur de Pirou d’un bon pied.
    Comme chaque matin à l’aube, la jeune fille les avait vus partir à cheval vers le havre de Geffosse puis s’en revenir pour assister à la prière. Une fois, elle les avait suivis en se dissimulant. Ils nageaient nus, bravant le froid et la fureur des vagues. Tancrède riait en se jouant des flots comme s’il était un animal marin. Elle qui jamais n’avait osé mettre un pied dans l’eau et pour qui la mer était synonyme de noyade et de naufrage...
    La voix tonnante de Baptiste la ramena à l’office.
    Il ouvre une fosse et la creuse,
il tombera dans le trou qu’il a fait ;
sa peine reviendra sur sa tête,
sa violence lui retombera sur le crâne {3} .
    Muriel s’affaissa sur son siège avec un cri étranglé. La malade montrait les dents et de la bave coulait de sa bouche, ses yeux se révulsaient. C’était le début d’une crise de haut mal. Paysans et serviteurs se signèrent, effrayés, et reculèrent en désordre.
    Le vide se fit autour de la dame de l’Épine qui avait glissé de sa chaise et se tordait sur le dallage en écumant.
    Une servante s’évanouit. Bertrade accourut près de sa maîtresse. Baptiste demanda le silence. Serlon ordonna à un de ses sergents, un solide gaillard, d’emmener sa soeur. Hugues de Tarse, qui s’était approché, lui proposa son aide.
    — Je connais ces crises et le

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