Le piège de Dante
persifla encore Ottavio, d’une voix tremblante. C'est un complot, en somme! Vous n’avez pas cessé de comploter... Contre moi !
Ses doigts caressaient maintenant l’un des tiroirs du secrétaire, à serrure d’or.
— C'est fini, dit seulement Anna.
Ils se turent tous les trois. Ottavio frémissant, Anna raide comme la justice, et Pietro assis derrière le bureau. L'atmosphère était plus que jamais sombre et chargée.
— C'est fini, répéta-t-elle.
Ottavio poussa alors un hurlement.
— Ah ! C'est ce qu’on va voir !
Il ouvrit à la volée le tiroir du secrétaire et y plongea la main. Il tâtonna fébrilement à l’intérieur.
— C'est cela que vous cherchez?
Ottavio se retourna vers lui, blême.
L'Orchidée Noire fit danser devant les yeux du sénateur un petit pistolet à poudre, à crosse d’argent. Presque une miniature.
Un moment, Ottavio regarda autour de lui de manière frénétique, comme s’il cherchait une issue. Puis, s’apercevant qu’aucune solution ne se présentait à lui, il s’immobilisa soudain. Le regard vibrant, la lèvre inférieure tremblante, il sembla alors se ramasser sur lui-même. Ses épaules s’affaissèrent...
Il se précipita sur Viravolta.
Pietro fut surpris lorsque les quatre-vingt-douze kilos du sénateur se jetèrent sur lui par-dessus le petit bureau, son ventre balayant au passage le chapeau, le sous-main de cuir et les quelques papiers de vélin qui s’y trouvaient. Il n’avait pas eu le courage de presser la détente et de tirer ainsi sur Ottavio, sans autre forme de procès ; mais il avait gardé l’arme en main. Anna s’était reculée en étouffant un cri. La lutte qui s’ensuivit avait quelque chose de grotesque. Elle fut confuse, et barbare. Les yeux du sénateur étincelaient, il avait de l'écume aux lèvres ; ses doigts se crispaient convulsivement comme des serres, les gros médaillons de son cou tintaient. Il était à demi couché sur le bureau, et Pietro à demi assis. Ottavio cherchait à s’emparer du pistolet, comme un enfant à qui l’on aurait subtilisé son jouet. Un bref instant, il crut même parvenir à ses fins. Soudain, il y eut une détonation. Le coup était parti tout seul.
Puis, plus rien.
Anna poussa un nouveau cri tandis que Pietro s’affalait dans le fauteuil.
Du pied, il retourna le cadavre d’Octavio.
Il avait les pupilles révulsées. Un filet de sang coulait de sa bouche.
Pietro reprit sa respiration quelques instants.
Il regarda Anna. Elle était livide.
— Ce... C'était lui ou moi, dit-il seulement.
Au pied de la villa de Santa Croce, Anna, encapuchonnée de noir, était prête à monter dans la gondole qui l’éloignerait définitivement de cet endroit. Elle leva les yeux vers la façade du bâtiment aux tons délavés, avec ces rosaces peintes qui couraient sous son balcon.
Pietro se tenait auprès d’elle avec Landretto.
Il posa la main sur l’épaule de son valet, et le regarda longuement. Ses boucles blondes, qui tiraient sur le châtain. Ce nez un peu trop long. Ce pli toujours insolent au coin de la bouche. Pietro se dit que, le jour où il l’avait ramassé dans la rue – Landretto ivre mort, qui chantait ses chansons paillardes en apostrophant la lune – il avait eu l’une des inspirations les plus brillantes, et les plus décisives de sa vie.
— Je n’oublierai pas tout ce que tu as fait, mon ami. Jamais. Sans toi, je serais encore à croupir au fond des Plombs. Et nous ne serions pas là, tous les trois.
Landretto sourit, ôta son galurin et s’inclina.
— Pour vous servir... Messer Viravolta, l’Orchidée Noire.
— Tu n’as plus qu’une seule mission à présent. Veille sur elle, je t’en prie. Trouvez-vous un endroit sûr et n’en bougez plus. Je vous rejoindrai dès que possible.
— Ce sera fait, dit Landretto.
— La mort d’Octavio va faire du bruit... Je dois voir Ricardo Pavi, le chef de la Criminale , au plus vite.
Il se tourna vers Anna. Tous deux se regardèrent sans rien dire. Il caressa ses cheveux et déposa un baiser sur ses lèvres.
La Veuve Noire.
Veuve, elle l’était vraiment, désormais.
La veuve et l’orchidée.
— Où vas-tu, maintenant? demanda-t-elle. Où est ce Pavi ?
Pietro lui caressa la joue une dernière fois.
— La Sérénissime a encore besoin de moi.
Il inspira et se retourna vivement, dans un froissement de son manteau.
— Pietro, je t’en prie... Sois prudent! cria Anna tandis qu’il s’éloignait.
Le
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