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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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qui eût mérité de sa part, il était maintenant près de l'admettre, plus de compréhension.
     
    Au moment de cacheter sa missive, il se dit qu'il devait ajouter une phrase à l'intention de son parâtre, devenu général de brigade en 1851 pour services rendus dans la préparation du coup d'État du 2 décembre, et promu général de division dès l'avènement du second Empire. Mais Charles reprochait toujours à Saint-Forin d'avoir séduit sa mère, combattu les républicains dès janvier 1832, arrêté, en juin de la même année, ceux qui, avec Victor Considérant, voulaient, avait-on dit sans preuves, incendier Notre-Dame. L'officier avait encore conduit la répression contre les émeutiers de Montmartre et de l'église Saint-Marc, et s'était illustré au service de Cavaignac pour écraser l'émeute du 24 juin 1848.
     
    Même si ces actions avaient pour but de protéger la naissante et éphémère IIe République contre des insurgés prêts à organiser une nouvelle terreur révolutionnaire ; même si Lamartine avait qualifié les émeutes inutiles d'« explosion de guerre servile et non de guerre civile », Charles imputait à Saint-Forin et à ses troupes mille cinq cents fusillés,vingt-cinq mille emprisonnés, dont plusieurs élèves des Ponts, et même la mort d'un millier de militaires, tombés en défendant la République contre les rouges.
     
    Sa détestation du traîneur de sabre, ainsi qu'il nommait le général, retenait toujours le jeune ingénieur de manifester la moindre reconnaissance à un homme qui l'avait, certes, éloigné de sa mère, mais lui avait aussi permis de se forger un avenir. Après réflexion, il ajouta une ligne demandant à Valentine de transmettre à son mari des salutations qu'il ne put se résoudre à qualifier de cordiales.
     
    Le courrier clos, Charles eut le sentiment d'avoir honnêtement pris congé de son passé. « Demain va commencer pour moi une nouvelle vie dans un monde neuf », se dit-il. En homme libre de toute attache, il se sentait prêt, sans crainte ni appréhension, mais au contraire avec curiosité et confiance, à courir toutes les aventures que le destin, intarissable romancier, ne manquerait pas de lui proposer ou de lui imposer !
     
    À l'heure du souper, un majordome conduisit le Français à la table d'hôtes et Desteyrac s'assit entre un capitaine à barbiche grisonnante et un jeune chirurgien militaire, rose et joufflu. Le premier débarquait d'une goélette qui avait transporté, d'Irlande en Angleterre, des émigrants rustauds et turbulents dont, assurait-il, le pays n'avait que faire ; le second partait le lendemain pour le Bengale rejoindre son régiment de lanciers. Le maître d'hôtel, auprès de qui Desteyrac s'informa du sort de Malcolm Murray, répondit que ce gentleman s'était fait servir un repas dans sa chambre.
     
    – Je me suis permis de lui dire qu'un monsieur français s'était enquis de sa présence à l'hôtel, compléta le butler.
     
    – Et, qu'a-t-il répondu ?
     
    – Rien, monsieur. Il n'a eu qu'un geste de la main, comme qui chasse une mouche !
     
    Cette confidence n'améliora pas l'idée préconçue que Desteyrac se faisait de l'architecte. Il salua ses voisins, les écouta échanger leurs appréciations sur les Irlandais et les Indiens. Il retira de leurs propos le sentiment que les Anglais se considéraient comme les seuls représentants civilisés et respectables de l'espèce humaine.
     
    – Je ne vous cacherai pas que la renaissance de l'empire dans votre pays nous inquiète. Il ne faudrait pas que Louis Napoléon se conduisît comme son oncle, dit le médecin, apprenant que Charles était français.
     
    – L'Angleterre ne court aucun risque : le nouvel empereur n'a pas le génie vindicatif de l'ancien et nous reviendrons à la république un jour ou l'autre… comme vous, peut-être, observa malicieusement Desteyrac.
     
    – De la république, monsieur, nous avons autrefois fait l'épreuve, vers 1660, je crois, dit le marin.
     
    – Après avoir coupé la tête de Charles I er . C'est peut-être ce qui nous donna l'idée, plus tard, de couper celle de Louis XVI, ironisa Charles.
     
    – Nous avons aussi tâté d'un protecteur, Oliver Cromwell. Il se prenait pour un monarque et n'était qu'un roturier, puritain vaniteux, avide de pouvoir, précisa le capitaine.
     
    – Voyez-vous, monsieur, ces régimes politiques ne conviennent pas à notre peuple, constata le médecin. Nous

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