Le Prince
le duc.
Ensuite, lorsqu'il eut dispersé les partisans
de la maison Colonna, il attendit l'occasion de détruire ceux des
Orsini ; et cette occasion s'étant heureusement présentée pour
lui, il sut en profiter plus heureusement encore. En effet, les
Orsini, ayant reconnu un peu tard que l'agrandissement du duc et de
l'Église serait la cause de leur ruine, tinrent une sorte de diète
dans un endroit des États de Pérouse, appelé la Magione ; et
de cette assemblée s'ensuivirent la révolte d'Urbin, les troubles
de la Romagne, et une infinité de dangers que le duc surmonta avec
l'aide des Français. Ayant par là rétabli sa réputation, et ne se
fiant plus ni à la France ni à aucune autre force étrangère, il eut
recours à la ruse, et il sut si bien dissimuler ses sentiments, que
les Orsini se réconcilièrent avec lui par l'entremise du seigneur
Pagolo, dont il s'était assuré par toutes les marques d'amitié
possibles, en lui donnant des habits, de l'argent, des chevaux.
Après cette réconciliation, ils eurent la simplicité d'aller se
mettre entre ses mains à Sinigaglia.
Ces chefs une fois détruits, et leurs
partisans gagnés par le duc, il avait d'autant mieux fondé sa
puissance, que, d'ailleurs, maître de la Romagne et du duché
d'Urbin, il s'était attaché les habitants en leur faisant goûter un
commencement de bien-être. Sur quoi sa conduite pouvant encore
servir d'exemple, il n'est pas inutile de la faire connaître.
La Romagne, acquise par le duc, avait eu
précédemment pour seigneurs des hommes faibles, qui avaient plutôt
dépouillé que gouverné, plutôt divisé que réuni leurs sujets ;
de sorte que tout ce pays était en proie aux vols, aux brigandages,
aux violences de tous les genres. Le duc jugea que, pour y rétablir
la paix et l'obéissance envers le prince, il était nécessaire d'y
former un bon gouvernement : c'est pourquoi il y commit
messire Ramiro d'Orco, homme cruel et expéditif, auquel il donna
les plus amples pouvoirs. Bientôt, en effet, ce gouvernement fit
naître l'ordre et la tranquillité ; et il acquit par là une
très grande réputation. Mais ensuite le duc, pensant qu'une telle
autorité n'était plus nécessaire, et que même elle pourrait devenir
odieuse, établit au centre de la province un tribunal civil, auquel
il donna un très bon président, et où chaque commune avait son
avocat. Il fit bien davantage : sachant que la rigueur d'abord
exercée avait excité quelque haine, et désirant éteindre ce
sentiment dans les cœurs, pour qu'ils lui fussent entièrement
dévoués, il voulut faire voir que si quelques cruautés avaient été
commises, elles étaient venues, non de lui, mais de la méchanceté
de son ministre. Dans cette vue, saisissant l'occasion, il le fit
exposer un matin sur la place publique de Césène, coupé en
quartiers, avec un billot et un coutelas sanglant à côté. Cet
horrible spectacle satisfit le ressentiment des habitants, et les
frappa en même temps de terreur. Mais revenons.
Après s'être donné des forces telles qu'il les
voulait, et avoir détruit en grande partie celles de son voisinage
qui pouvaient lui nuire, le duc, se trouvant très puissant, se
croyait presque entièrement assuré contre les dangers
actuels ; et voulant poursuivre ses conquêtes, il était encore
retenu par la considération de la France : car il savait que
le roi, qui enfin s'était aperçu de son erreur, ne lui permettrait
point de telles entreprises. En conséquence, il commença à
rechercher des amitiés nouvelles et à tergiverser avec les
Français, lorsqu'ils marchaient vers le royaume de Naples contre
les Espagnols, qui faisaient le siège de Gaëte ; il projetait
même de les mettre hors d'état de le contrarier ; et il en
serait venu bientôt à bout, si Alexandre avait vécu plus
longtemps.
Telles furent ses mesures par rapport à l'état
présent des choses. Pour l'avenir, il avait d'abord à craindre
qu'un nouveau pape ne fût mal disposé à son égard, et ne cherchât à
lui enlever ce qu'Alexandre, son père, lui avait donné. C'est à
quoi aussi il voulut pourvoir par les quatre moyens suivants :
premièrement, en éteignant complètement les races des seigneurs
qu'il avait dépouillés, et ne laissant point ainsi au pape les
occasions que l'existence de ces races lui aurait fournies ;
secondement, en gagnant les gentilshommes de Rome, afin de tenir
par eux le pontife en respect ; troisièmement, en
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