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Le Prince

Le Prince

Titel: Le Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Machiavel
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ne
regardant point comme une vraie victoire celle dont ils peuvent
être redevables à des forces étrangères.
    Ici, je n'hésiterai point à citer encore César
Borgia et sa manière d'agir. Ce duc entra dans la Romagne avec des
forces auxiliaires composées uniquement de troupes françaises, avec
lesquelles il s'empara d'Imola et de Forli ; mais jugeant
bientôt que de telles forces n'étaient pas bien sûres, il recourut
aux mercenaires, dans lesquelles il voyait moins de péril ;
et, en conséquence, il prit à sa solde les Orsini et les Vitelli.
Trouvant néanmoins, en les employant, que celles-ci étaient
incertaines, infidèles et dangereuses, il embrassa le parti de les
détruire et de ne plus recourir qu'aux siennes propres.
    La différence entre ces divers genres d'armes
fut bien démontrée par la différence entre la réputation qu'avait
le duc lorsqu'il se servait des Orsini et des Vitelli, et celle
dont il jouit quand il ne compta plus que sur lui-même et sur ses
propres soldats : celle-ci alla toujours croissant, et jamais
il ne fut plus considéré que lorsque tout le monde le vit maître
absolu de ses armes.
    Je voulais m'en tenir aux exemples récents
fournis par l'Italie ; mais je ne puis passer sous silence
celui d'Hiéron de Syracuse, dont j'ai déjà parlé. Celui-ci, mis par
les Syracusains à la tête de leur armée, reconnut bientôt
l'inutilité des troupes mercenaires qu'ils soldaient, et dont les
chefs ressemblaient en tout aux condottieri que nous avons eus en
Italie. Convaincu d'ailleurs qu'il ne pouvait sûrement ni conserver
ces chefs, ni les licencier, il prit le parti de les faire tailler
en pièces ; après, il fit la guerre avec ses propres armes, et
non avec celles d'autrui.
    Qu'il me soit permis de rappeler encore ici un
trait que l'on trouve dans l'Ancien Testament, et que l'on peut
regarder comme une figure sur ce sujet. David s'étant proposé pour
aller combattre le Philistin Goliath, qui défiait les Israélites,
Saül, afin de l'encourager, le revêtit de ses propres armes ;
mais David, après les avoir essayées, les refusa, en disant
qu'elles gêneraient l'usage de ses forces personnelles, et qu'il
voulait n'affronter l'ennemi qu'avec sa fronde et son coutelas. En
effet, les armes d'autrui, ou sont trop larges pour bien tenir sur
votre corps, ou le fatiguent de leur poids, ou le serrent et en
gênent les mouvements.
    Charles VII, père de Louis XI, ayant par sa
fortune et par sa valeur délivré la France des Anglais, reconnut la
nécessité d'avoir des forces à soi, et forma dans son royaume des
compagnies réglées de gendarmes et de fantassins. Dans la suite,
Louis, son fils, supprima l'infanterie et commença de prendre des
Suisses à sa solde ; mais cette erreur, qui en entraîna
d'autres, a été cause, comme nous le voyons, des dangers courus par
la France. En effet, en mettant ainsi les Suisses en honneur, Louis
a en quelque sorte anéanti toutes ses propres troupes :
d'abord il a totalement détruit l'infanterie ; et quant à la
gendarmerie, il l'a rendue dépendante des armes d'autrui, en
l'accoutumant tellement à ne combattre que conjointement avec les
Suisses, qu'elle ne croit plus pouvoir vaincre sans eux. De là
vient aussi que les Français ne peuvent tenir contre les Suisses,
et que sans les Suisses ils ne tiennent point contre d'autres
troupes. Ainsi les armées françaises sont actuellement mixtes,
c'est-à-dire composées en partie de troupes mercenaires, et en
partie de troupes nationales ; composition qui les rend sans
doute beaucoup meilleures que des armées formées en entier de
mercenaires ou d'auxiliaires, mais très inférieures à celles où il
n'y aurait que des corps nationaux.
    Si l'ordre établi par Charles VII avait été
conservé et amélioré, la France serait devenue invincible. Mais la
faible prudence humaine se laisse séduire par l'apparente bonté
qui, dans bien des choses, couvre le venin qu'elles renferment, et
qu'on ne reconnaît que dans la suite, comme dans ces fièvres
d'étisie dont j'ai précédemment parlé. Cependant le prince qui ne
sait voir le mal que lorsqu'il se montre à tous les yeux, n'est pas
doué de cette habileté qui n'est donnée qu'à un petit nombre
d'hommes.
    Si l'on recherche la principale source de la
ruine de l'empire romain, on la trouvera dans l'introduction de
l'usage de prendre des Goths à sa solde : par là, en effet, on
commença à énerver les troupes nationales, de telle sorte

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