Le Prince
demeurés à sa discrétion.
Sforza fut contrarié par la rivalité des
Braccio ; rivalité qui faisait qu'ils se contenaient les uns
les autres.
Enfin Francesco Sforza et Braccio tournèrent
leurs vues ambitieuses, l'un sur la Lombardie, l'autre sur l'Église
et sur le royaume de Naples.
Mais voyons ce qui est arrivé il y a peu de
temps.
Les Florentins avaient pris pour leur général
Paolo Vitelli, homme rempli de capacité, et qui, de l'état de
simple particulier, s'était élevé à une très haute réputation. Or,
si ce général avait réussi à se rendre maître de Pise, on est forcé
d'avouer qu'ils se seraient trouvés sous sa dépendance ; car
s'il passait à la solde de leurs ennemis, il ne leur restait plus
de ressource ; et s'ils continuaient de le garder à leur
service, ils étaient contraints de se soumettre à ses volontés.
Quant aux Vénitiens, si l'on considère
attentivement leurs progrès, on verra qu'ils agirent heureusement
et glorieusement tant qu'ils firent la guerre par eux-mêmes,
c'est-à-dire avant qu'ils eussent tourné leurs entreprises vers la
terre ferme. Dans ces premiers temps, c'étaient les gentilshommes
et les citoyens armés qui combattaient ; mais, aussitôt qu'ils
eurent commencé à porter leurs armes sur la terre ferme, ils
dégénérèrent de cette ancienne vertu, et ils suivirent les usages
de l'Italie. D'abord, et dans le principe de leur agrandissement,
leur domaine étant peu étendu, et leur réputation très grande, il
eurent peu à craindre de leurs commandants ; mais, à mesure
que leur État s'accrut, ils éprouvèrent bientôt l'effet de l'erreur
commune : ce fut sous Carmignuola. Ayant connu sa grande
valeur par les victoires remportées sous son commandement sur le
duc de Milan, mais voyant, d'un autre côté, qu'il ne faisait plus
que très froidement la guerre, ils jugèrent qu'ils ne pourraient
plus vaincre, tant qu'il vivrait ; car ils ne voulaient ni ne
pouvaient le licencier, de peur de perdre ce qu'ils avaient
conquis, et en conséquence ils furent obligés, pour leur sûreté, de
le faire périr.
Dans la suite, ils eurent pour commandant
Bartolommeo de Bergame, Roberto da San Severino, le comte de
Pittigliano, et autres capitaines semblables. Mais tous donnèrent
bien moins lieu d'appréhender de leurs victoires, que de craindre
des défaites semblables à celle de Vailà, qui, dans une seule
journée, fit perdre aux Vénitiens le fruit de huit cents ans de
travaux ; car, avec les troupes dont il s'agit, les progrès
sont lents, tardifs et faibles, les pertes sont subites et
prodigieuses.
Mais, puisque j'en suis venu à citer des
exemples pris dans l'Italie, où le système des troupes mercenaires
a prévalu depuis bien des années, je veux reprendre les choses de
plus haut, afin qu'instruit de l'origine et des progrès de ce
système, on puisse mieux y porter remède.
Il faut donc savoir que lorsque, dans les
derniers temps, l'empire eut commencé à être repoussé de l'Italie,
et que le pape eut acquis plus de crédit, quant au temporel, elle
se divisa en un grand nombre d'États. Plusieurs grandes villes, en
effet, prirent les armes contre leurs nobles, qui, à l'ombre de
l'autorité impériale, les tenaient sous l'oppression, et elles se
rendirent indépendantes, favorisées en cela par l'Église, qui
cherchait à accroître le crédit qu'elle avait gagné. Dans plusieurs
autres villes, le pouvoir suprême fut usurpé ou obtenu par quelque
citoyen qui s'y établit prince. De là s'ensuivit que la plus grande
partie de l'Italie se trouva sous la dépendance, et en quelque
sorte sous la domination de l'Église ou de quelque
république ; et comme des prêtres, des citoyens paisibles, ne
connaissaient nullement le maniement des armes, on commença à
solder des étrangers. Le premier qui mit ce genre de milice en
honneur fut Alberigo da Como, natif de la Romagne : c'est sous
sa discipline que se formèrent, entre autres, Braccio et Sforza,
qui furent, de leur temps, les arbitres de l'Italie, et après
lesquels ou a eu successivement tous ceux qui, jusqu'à nos jours,
ont tenu dans leurs mains le commandement de ses armées ; et
tout le fruit que cette malheureuse contrée a recueilli de la
valeur de tous ces guerriers, a été de se voir prise à la course
par Charles VIII, ravagée par Louis XII, subjuguée par Ferdinand,
et insultée par les Suisses.
La marche qu'ils ont suivie pour se mettre en
réputation a été de décrier
Weitere Kostenlose Bücher