Le prix de l'indépendance
assisté à des entraînements de miliciens sur les places de village, avait partagé leurs repas. Aucun n’était un vrai soldat. Lors des manœuvres, ils étaient pathétiques, incapables de marcher en rangs, au pas encore moins. Cependant, tous étaient des chasseurs aguerris. Après en avoir observé bon nombre abattre des oies sauvages et des dindes en plein vol, il ne pouvait plus partager le mépris dans lequel les tenaient la plupart des militaires britanniques.
Non, s’il y avait des Américains dans les parages, ils ne le sauraient qu’en voyant les premiers soldats britanniques tomber. Il fit signe à Perkins d’approcher et lui ordonna de dire aux caporaux de maintenir leurs hommes en alerte, leur arme chargée et amorcée. Il vit un caporal se raidir en recevant ce message, le prenant manifestement comme une insulte… mais il s’exécuta néanmoins. William sentit sa tension se relâcher d’un cran.
Il songea à son récent voyage et se demanda quand – et où – il reverrait le capitaine Richardson pour lui transmettre les « renseignements » qu’il avait collectés.
Il avait gravé la plupart de ses observations dans sa mémoire, ne consignant que le strict nécessaire en langage codé dans un exemplaire du Nouveau Testament offert par sa grand-mère. Ce dernier se trouvait toujours dans une poche de son manteau de civil laissé sur Staten Island. Maintenant qu’il était de retour sain et sauf dans le giron de l’armée, ne devrait-il pas coucher ses observations par écrit dans un rapport en bonne et due forme ?
Un mouvement le fit se dresser sur ses étriers, juste à temps pour entrevoir un éclair de mousquet provenant d’un bois sur leur gauche.
Voyant ses hommes commencer à abaisser leurs armes, il cria :
— Halte ! Ne tirez pas !
Le bois était trop loin et une autre colonne d’infanterie se trouvait mieux placée. Elle se mit en ordre de tir et décocha une salve en direction de la forêt. Le premier rang mit un genou à terre et le second tira une deuxième salve par-dessus les têtes. Des tirs leur répondirent derrière les arbres. Il vit un ou deux hommes tomber, d’autres chanceler mais la ligne tint bon.
Deux autres salves, quelques tirs en retour, plus sporadiques… Du coin de l’œil, il perçut un mouvement et pivota sur sa selle. Un groupe d’hommes en tenue de chasse détalait de l’autre côté du bois.
La compagnie devant lui les vit également. A un cri de leur sergent, les soldats fixèrent leurs baïonnettes au bout de leurs mousquets et se mirent à courir, même s’il était évident qu’ils ne pourraient jamais les rattraper.
Ce type d’escarmouche se répéta tout au long de l’après-midi à mesure que l’armée avançait. Les blessés, transportés à l’arrière, furent rares. Une des compagnies de William essuya quelques tirs ennemis et il se sentit tel un dieu en ordonnant d’attaquer. Ses hommes se ruèrent vers le bois comme un essaim de frelons furieux, baïonnettes en avant. Ils parvinrent à tuer un rebelle dont le corps fut traîné à découvert dans la plaine. Le caporal proposa de le pendre à un arbre afin de dissuader ses comparses mais William repoussa fermement cette suggestion peu honorable. Il fit déposer le cadavre en lisière de forêt afin que ses compagnons puissent le récupérer.
A l’approche du soir, des ordres du général Clinton circulèrent dans les rangs. Ils ne monteraient pas de camp pour la nuit. Ils s’arrêteraient brièvement pour manger des rations froides puis poursuivraient leur route.
Il y eut des murmures surpris parmi les soldats mais nul ne se plaignit. Ils étaient venus pour se battre et reprirent leur marche avec plus d’empressement encore.
Il pleuvait toujours de façon sporadique et les tirs de rebelles s’espacèrent avec la tombée de la nuit. Il ne faisait pas froid et, en dépit de ses vêtements humides, William préférait cettefraîcheur à la moiteur étouffante de la journée. En outre, la pluie semblait démoraliser sa monture, ce qui était aussi bien. C’était un animal nerveux et capricieux, au point qu’il en vint à douter de la générosité désintéressée du capitaine Griswold. Epuisé par la longue marche, le hongre cessa de broncher au moindre mouvement de branche et de tirer sur ses rênes. Il avançait d’un pas lourd, ses oreilles retombant sur les côtés avec résignation.
Les premières heures de marche nocturne se déroulèrent sans encombre.
Weitere Kostenlose Bücher