Le prix de l'indépendance
Toutefois, après minuit, la fatigue commença à se faire sentir. Certains chancelaient et trébuchaient et tous prenaient la mesure du long effort qu’il leur restait à faire dans l’obscurité avant l’arrivée de l’aube.
William appela Perkins. Le jeune soldat aux joues rebondies s’approcha en bâillant et marcha à ses côtés en se tenant à son étrier tandis que William lui expliquait ce qu’il voulait.
— Chanter ? répéta Perkins, perplexe. Euh… oui, je veux bien, mon lieutenant, mais je ne connais que des hymnes.
— Hmm… ce n’est pas tout à fait ce que j’avais en tête. Allez donc demander au sergent… comment s’appelle-t-il déjà ? Millikin ? L’Irlandais ? Qu’il chante ce qu’il voudra, du moment que c’est entraînant.
Après tout, ils ne cherchaient pas à cacher leur présence. Les Américains savaient exactement où ils se trouvaient.
— Bien, mon lieutenant, répondit Perkins dubitatif avant de disparaître dans la nuit.
Quelques minutes plus tard, William entendit s’élever la voix puissante de Patrick Millikin entonner avec un accent très marqué une chanson paillarde. Les hommes se mirent à rire et, le temps d’arriver au premier refrain, plusieurs l’accompagnaient. Quelques vers plus tard, tous braillaient de concert, William y compris.
Naturellement, chargés comme ils l’étaient, ils ne purent continuer ainsi pendant des heures mais quand, à bout de souffle, ils eurent épuisé toutes leurs chansons préférées, ils étaient tous bien réveillés et d’humeur enjouée.
Peu avant l’aube, William sentit l’odeur de la mer et les effluves fétides d’un marécage battu par la pluie. Les hommesdéjà trempés durent patauger dans des criques délaissées par la marée.
Quelques minutes plus tard, la détonation d’un canon brisa la nuit et les oiseaux des marais s’élevèrent dans le ciel mauve en poussant des cris d’alarme.
Au cours des deux jours qui suivirent, William ne sut jamais où il était. Des noms tels que « Jamaica Pass », « Flatbush » et « Gowanus Creek » apparaissaient dans les dépêches et messages qui circulaient entre les officiers mais, pour autant qu’il sache, il aurait pu s’agir de « Jupiter » ou de « la face cachée de la Lune ».
Il vit enfin des continentaux. Des hordes, sortant en masse des marais. Les premiers affrontements furent féroces mais les compagnies de William restèrent en retrait, gardant l’arrière. Ils ne se retrouvèrent qu’une seule fois dans le feu de l’action, afin de repousser une bande d’Américains.
Il n’en était pas moins dans un état d’excitation permanente, essayant de tout voir et de tout entendre, enivré par l’odeur de poudre même si ses os s’entrechoquaient à chaque coup de canon. Au coucher du soleil, quand les échanges de tirs cessèrent, il grignota sans appétit un peu de fromage et des biscuits et ne dormit que brièvement.
A la fin de l’après-midi du second jour, ils se trouvèrent à proximité d’une grande ferme en pierre que les Britanniques et quelques troupes hessiennes avaient réquisitionnée comme poste d’artillerie. Le fût des canons saillait des fenêtres du premier étage, luisant de pluie.
La poudre mouillée commençait à poser un problème. Les cartouches ne risquaient rien mais si la poudre d’amorce restait dans le bassinet du canon plus de quelques minutes, elle se figeait et devenait inutilisable. L’ordre de charger devait donc être donné au tout dernier instant et chaque fois William serrait les dents en se demandant quel était le bon moment.
Parfois, la question ne se posait pas. Un groupe d’Américains jaillit subitement de la forêt en poussant un cri de guerre et se lança à l’assaut de la bâtisse. Des troupes postées à l’intérieur ripostèrent avec des tirs de mousquet, en fauchèrentquelques-uns mais d’autres atteignirent la maison et commencèrent à grimper aux fenêtres brisées. William éperonna son cheval pour voir ce qui se passait à l’arrière de la ferme. Comme il s’en était douté, un autre groupe de rebelles y était déjà, certains escaladant le lierre qui recouvrait la façade.
— Par ici, hurla-t-il à ses hommes en agitant son esponton. Olson, Jeffries ! A l’arrière ! Chargez et tirez dès que vous les aurez à votre portée !
Deux de ses compagnies s’élancèrent au pas de charge, les hommes déchirant leurs cartouches d’un coup de dents tout en courant,
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