Le prix de l'indépendance
puissance de la flotte de l’amiral Howe et William n’en doutait pas. La baie de Gravesend n’était plus qu’une forêt de mâts et la mer grouillait de petites embarcations transportant les troupes à terre. Lui-même bouillonnait d’impatience et il sentait la même effervescence se propager parmi ses hommes tandis que les caporaux venaient chercher les compagnies sur le rivage et les conduisaient à l’écart en rangs ordonnés, laissant de la place à la prochaine vague de canots.
Les chevaux des officiers étaient débarqués à la nage, la distance à couvrir n’étant pas grande. William fit un bond de côté quand un grand alezan surgit des flots non loin et s’ébroua, aspergeant d’embruns tous ceux se trouvant dans un rayon de quelques mètres. Le palefrenier accroché à son licou ressemblait à un rat mouillé. Il s’ébroua à son tour et adressa un grand sourire à William, bleu de froid mais les yeux pétillants d’excitation.
William avait une monture lui aussi… quelque part. Le capitaine Griswold, un officier supérieur appartenant à l’état-major de Howe, devait lui en prêter une faute d’avoir eu le temps de s’organiser autrement. Il supposait que le soldat chargé de la lui amener le trouverait tôt ou tard, même s’il ne voyait pas comment.
Partout régnait un chaos organisé. La portion du littoral où ils avaient débarqué était bordée d’un vaste replat de marée et des essaims d’hommes en redingote rouge pataugeaient dans le varech tels des échassiers, le beuglement des sergents offrant un contrepoint aux cris des mouettes au-dessus de leurs têtes.
William avait été présenté aux caporaux le matin même et n’avait pas encore eu le temps de mémoriser leurs traits. Il finit néanmoins par retrouver ses quatre compagnies pour les entraîner vers les dunes jonchées d’herbes rêches. Il faisait chaud et, avec leur uniforme et leur lourd paquetage, leshommes étaient en nage. Il leur ordonna de se mettre au repos, les laissant boire l’eau ou la bière de leurs bidons et manger un bout de fromage et de biscuit. Ils ne tarderaient pas à se mettre en route.
Pour aller où ? William aurait bien aimé le savoir. La veille, lors d’une brève réunion d’état-major, sa première, il avait appris l’essentiel du plan d’invasion : une moitié de l’armée marcherait de la baie de Gravesend vers l’intérieur des terres puis bifurquerait vers le nord en direction de Brooklyn Heights où les forces rebelles étaient retranchées. Le reste des troupes remonterait la côte jusqu’à Montauk, formant une ligne de défense pouvant traverser Long Island et prendre au filet les rebelles si nécessaire.
William aspirait de toutes ses forces à faire partie de l’avant-garde, même s’il savait que c’était peu réaliste. Il ne savait rien de ses troupes et celles-ci faisaient peine à voir. Aucun commandant sensé ne placerait ce genre de compagnies sur la ligne de front, à moins de s’en servir comme chair à canon. William s’arrêta sur cette pensée un instant, mais rien qu’un instant.
Howe n’était pas du genre à gaspiller ses hommes. Il avait la réputation d’être prudent, peut-être même un peu trop. William tenait cette information de son père. Lord John n’avait pas précisé que c’était justement la raison pour laquelle il avait consenti à ce qu’il rejoigne son état-major mais cela coulait de source. Peu importait. William avait calculé que ses chances de participer à de vrais combats étaient nettement plus élevées avec Howe qu’en piétinant sur place dans les marais de Caroline du Nord avec sir Peter Packer.
Et après tout… Il regarda lentement autour de lui. La mer n’était qu’une masse de navires britanniques et la plage à ses pieds était noire de soldats. Il n’aurait jamais admis à voix haute à quel point il était impressionné mais sa cravate lui serrait la gorge.
L’artillerie était en train d’être débarquée, flottant périlleusement sur des barges manœuvrées à grand renfort de jurons. Les avant-trains, les caissons ainsi que les chevaux et les bœufs chargés de les tirer, débarqués un peu plus au sud, avançaient sur la plage en projetant des gerbes d’eau et de sable dans unconcert de hennissements et de meuglements de protestation. C’était la plus grande armée qu’il ait jamais vue.
— Mon lieutenant ! Mon lieutenant !
En se retournant, il découvrit un soldat, petit
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