Le retour de la mariée
fois-ci, il ne s’exposerait à aucune rebuffade. Il garderait pour lui son secret. Il affronterait seul le danger imminent. La crosse de son pistolet bien en main, il scruta le défilement des arbres. Avec un pistolet de bois, on ne tue personne, mais le simple contact de l’arme le rassurait, lui donnant un sentiment de puissance.
Toutefois, il avait très peur.
Le temps passait et l’atmosphère s’assombrissait de plus en plus. Il se sentait tellement oppressé qu’il avait du mal à respirer. Il y avait là, tout près, quelqu’un ou quelque chose qui allait faire du mal, il en était certain. Finalement, n’y tenant plus, il prit le risque de partager sa peur.
— Papa ? Ça ne va pas. Tu ferais mieux de t’arrêter.
— Tu as mal au cœur, fiston ? demanda son père, pendant que sa mère, qui pensait sans doute au coiffeur de Louisiana, lui faisait les gros yeux.
— Ne me vomis pas dessus, morveux ! lui lança Sam.
— Je ne suis pas malade, protesta-t-il. Mais j’ai ma sensation, vous savez…
Le visage de Maman se radoucit.
— Mon chéri, je sais bien que le voyage est lassant et que tu aimerais bien te dégourdir les jambes. Mais nous sommes en retard, avec toute cette boue. Nous n’avons pas le temps de faire une pause. Tu entends l’orage qui gronde au loin ? Ilfaut que nous arrivions en ville avant la tempête. Et vous, les deux grands, ajouta-t-elle, occupez-vous de lui. Il s’ennuie.
— Mais pas du tout, maman. Je suis vraiment sûr et certain qu’il va nous arriver malheur !
Personne ne prit la peine de lui répondre. Il avait de plus en plus mal. Il retint ses larmes, qui lui auraient brouillé la vue et l’auraient empêché de voir les bandits. S’il gardait un œil sur la route, il pourrait prévenir papa à temps. Et comme papa était un champion, il ne manquerait pas de tirer le premier.
Il observait si attentivement le défilement des arbres qu’il ne vit pas le malheur s’abattre devant eux, au passage d’un gué.
Le fleuve était sorti de son lit. Le torrent avait envahi la route, emportant tout sur son passage. En un éclair de seconde, les chevaux et la voiture furent entraînés par les flots déchaînés.
— Accrochez-vous, tenez bon ! hurla papa.
Le chariot fit un tour sur lui-même, menaçant de basculer à tout moment tandis que les femmes poussaient des cris d’effroi. Pistolet au poing, Logan se dressa.
— J’ai voulu te le dire, papa ! Tu ne m’as pas écouté !
— Tiens bon, Logan !
Son père bondit vers lui dans les flots bouillonnants. Sa tête heurta un obstacle, et puis plus rien…
***
Longtemps après la catastrophe, on retrouvait encore des cadavres dans le cours du fleuve Sabine, dont la crue soudaine avait fait plus de cent victimes.
Au sixième jour, un cavalier qui passait par là aperçut un jeune enfant dépenaillé. A califourchon sur un tronc échoué, il se balançait sans discontinuer d’arrière en avant, d’avant en arrière, les doigts crispés sur un pistolet de bois. Il ne cessait de répéter :
— Cours Racer, cours Racer, cours Racer.
Le voyageur tenta de l’interroger, mais en vain. Le jeune survivant ne cessait de répéter ces deux mots, toujours lesmêmes. Il ne se tut qu’au moment où le brave homme l’eut installé devant lui, au bord de sa selle.
Heureux de se rendre utile, mais embarrassé par sa trouvaille, le sauveteur apprit avec plaisir, en faisant étape le soir, que le pasteur et sa femme venaient d’ouvrir un orphelinat. Nellie Jennings était seule lorsqu’elle accepta de prendre en charge le petit garçon, qui semblait frappé de mutisme. Dès son retour, son mari essaya à son tour de le faire parler.
— Il est superbe, ton pistolet. Tu me le prêtes ? Non, bien sûr, tu veux le garder. Tu me le montres ?
L’enfant le lui montra, sur sa main grande ouverte.
— Je vois un L gravé sur la crosse, dit le pasteur. Ton nom commence par cette lettre-là ?
En l’absence de réponse, Mme Jennings, souriante et chaleureuse, posa gentiment la main sur l’épaule du nouveau venu.
— Il a eu de la chance : il est sain et sauf alors que tant d’autres sont morts. Et le hasard continue à lui sourire puisqu’il nous le confie à nous, qui aimons tant les enfants. Je propose que nous l’appelions Lucky. Qu’en penses-tu ?
— Que ma femme a toujours de bonnes idées, répondit le pasteur en lui posant un baiser sur la joue. Va pour Lucky. La Providence
Weitere Kostenlose Bücher