Le Roi amoureux
côté :
– C’est l’heure de Léonor, vous l’avez dit ! Adieu, pensées mortelles, visions de ténèbres, horizons sinistres sur lesquels surgit l’aube flamboyante de l’amour, spectres d’horreur que met en fuite l’image de Léonor ! J’aime ! Ah ! Dire que j’aime encore ! Dire qu’une fois encore mon cœur et mes sens, mon esprit et mon âme, mon être entier, tout ce qui est moi s’enivre, s’exalte et adore la vie souveraine, l’ineffable délice d’aimer… Ô Léonor, je viens !… ô Léonor, me voici !… ô Léonor, hais-moi un jour encore, puis demain tu m’aimeras ! Demain tu seras mienne !…
Et brusquement, de sa voix la plus tranquille :
– Vous dites, comte, que toutes précautions sont prises ?
Et le comte de Loraydan, d’une voix brève :
– Sur le chemin de la Corderie, une litière attend, attelée de quatre vigoureux normands. Vous y trouverez un ordre signé du roi, qui vous permettra de franchir la porte Montmartre. Vous y trouverez aussi vingt mille livres en or et des armes. Quatre hommes à cheval vous escorteront jusqu’à la porte Montmartre et au-delà, hors Paris. Devant l’hôtel d’Arronces, au cas d’une résistance imprévue, et d’ailleurs impossible, dix hommes armés jusqu’aux dents. Nous serons donc douze pour réduire les quelques serviteurs de l’hôtel. Enfin, parmi ces serviteurs, deux sont à nous. À nous également celle des femmes qui dort dans la chambre de Léonor. Tout est prêt pour le mariage, ajouta Loraydan. La fiancée attend. Il ne manque que le fiancé.
– Me voici ! dit don Juan.
– Une fois la porte Montmartre franchie, interrompit rudement Amauri de Loraydan, vous contournerez Paris et prendrez la route de Touraine. À Tours, vous pourrez célébrer votre mariage avec Léonor d’Ulloa. Tout est prêt. Un prêtre est prévenu. Les quatre hommes qui doivent vous escorter vous conduiront à l’église choisie.
– Merveilleux, fit don Juan. Et ces quatre dignes sbires pourront témoigner que tout s’est passé dans les règles, et qu’en conséquence, Amauri de Loraydan ne peut épouser Léonor d’Ulloa déjà mariée à don Juan Tenorio ! Mais, dites-moi, comte, cette dernière partie de ce joli guet-apens est-elle absolument nécessaire ?
– Que voulez-vous dire ? gronda Loraydan.
– Ne suffit-il pas à vos desseins – et aux miens – que j’emmène Léonor en Espagne ? Est-il indispensable que je l’épouse ?
Les poings de Loraydan se crispèrent. Il eut un regard sanglant. Il laissa tomber :
– Indispensable !… à moi, sinon à vous !
Don Juan éclata d’un rire fantastique ; en lui-même, il se criait :
« Polygamie ! polygamie ! Est-il donc vrai que tu me veux ? Oui, mais moi je ne te veux pas ! En vain tu m’enlaces de tes séductions, je saurai déjouer ton dessein ! »
– Partons ! fit Loraydan. D’ici à la frontière espagnole, vous aurez le temps de rire !
– Partons ! fit don Juan soudain très grave.
Quelques minutes plus tard, ils étaient dans la rue.
Il était alors près d’une heure du matin.
Ils gagnèrent la rue du Temple, et à pas rapides se dirigèrent vers le chemin de la Corderie.
Don Juan était insoucieux, et même une sorte de joie mauvaise battait à ses tempes. Et ce n’était pas la joie de l’aventure, ce n’était pas le frisson de l’inconnu, la bonne joie, l’heureux frisson de la marche au danger pour quelque cause de justice… c’était la funeste allégresse du prochain triomphe de violence et de honte…
Loraydan se tenait sur ses gardes, et, plus d’une fois, rue du Temple, il se retourna avec inquiétude. Et, comme ils allaient arriver devant le cabaret du Bel-Argent :
– Je crois qu’on nous suit, murmura-t-il. Soyons prêts à dégainer. Dès le couvre-feu, les rues de Paris sont infestées de truands.
Don Juan se retourna alors, et il lui sembla entrevoir quelques ombres.
– Bah ! fit-il avec dédain. Laissez donc votre épée tranquille.
Il se tut soudain, s’arrêta court.
À quelques pas derrière lui, un claironnant éternuement venait de retentir.
– Ho ! fit don Juan. Le diable me rende sourd si je ne reconnais cette trompette !…
– Avançons ! dit Loraydan qui mit la dague au poing.
Un nouvel éternuement déchira le silence de la nuit. On put entendre des grognements et, eût-on dit, des invectives proférées d’une voix étouffée.
Don Juan avait
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