Le Roi amoureux
Clother éperdu, la pensée en déroute, Clother, avec stupeur, avec douleur, vit que ce milieu de la chapelle, ce lieu où il devait fouiller le sol, était occupé, recouvert par un sarcophage de pierre…
Ce sarcophage, ce tombeau cachait plusieurs des dalles de la chapelle – plusieurs des dalles du centre de la chapelle – c’est-à-dire qu’il cachait la dalle même que Clother de Ponthus eût dû soulever.
Ce monument de granit sculpté, long de sept pieds et large de quatre, s’élevait du sol d’environ cinq pieds et était recouvert d’une table de pierre lisse tout unie, semblable à quelque lit de camp de la mort, sur lequel était couchée la statue d’un chevalier armé en guerre, l’épée rigide au flanc, les mains jointes sur la blanche cuirasse, les brassards, les jambards de marbre bien en place, avec leurs courroies marmoréennes ; la tête nue reposait sur un coussin de pierre polie ; le casque, taillé lui aussi dans le marbre, avec son panache à jamais figé, était posé un peu en avant des pieds de la statue.
Clother de Ponthus, haletant, l’esprit en tumulte, leva les yeux sur la figure du chevalier couché sur le sarcophage, et un cri étouffé lui échappa :
– Le commandeur Ulloa !…
Et Léonor, pensive, joignant les mains pour quelque prière, d’une voix étrangement calme, reprit dans un murmure :
– Oui… LA STATUE DU COMMANDEUR !…
Léonor s’était agenouillée ; dans le silence de la chapelle, le murmure indistinct et très doux de sa prière s’égrena lentement. Clother courba la tête et attendit avec un pieux respect qu’elle eût terminé.
Et quand elle se releva, il n’osa pas l’interroger, il refoula les paroles qui se pressaient sur ses lèvres. Mais elle, avec une simplicité touchante :
– Mon père, dit-elle, voici Clother, sire de Ponthus, qui est venu à l’hôtel d’Arronces pour vous parler. Qu’il parle donc ! Et qui sait si vous ne l’entendrez pas !…
– Mort ! balbutia Clother. Le commandeur Ulloa est mort !…
– Mort le jour de son arrivée à Paris, dit Léonor, le jour où vous l’avez conduit près de moi à l’auberge de cet hôtel…
– Mort ! Pardonnez-moi, madame, de renouveler votre filiale affliction, mais vraiment cet événement me bouleverse… Le commandeur Ulloa était, quand j’eus l’honneur de le voir, le plus robuste des seigneurs de l’escorte impériale… Quel coup de tonnerre a pu foudroyer ce chêne vigoureux et vivace ?… quel mal soudain…
– Un coup de dague, sire de Ponthus !…
– Le commandeur a été tué !…
– Tué sous mes yeux…
Et Léonor acheva :
– Tué par celui-là contre qui, sur la route d’Angoulême, vous aviez croisé le fer…
– Tué par don Juan Tenorio !…
– Par don Juan Tenorio !…
Clother se raidit. Une flamme jaillit de son regard. Sa main, fortement, s’appuya sur la garde de sa rapière. Et il éprouva comme un terrible regret que don Juan ne fût pas dans l’instant même devant lui, l’épée au poing. Mais déjà Léonor, de ce même accent de foi profonde :
– Seigneur de Ponthus, je vous laisse en tête à tête avec mon père, puisque vous avez désiré lui parler. Je vous attendrai dans la salle d’honneur, où je vous dirai comment et pourquoi Juan Tenorio a tué le commandeur Sanche Ulloa.
Il s’inclina très bas et, quand il releva la tête, il vit que Léonor franchissait la porte de la chapelle… L’instant d’après, elle avait disparu ; peut-être, à ce moment même, quelque nuage passait-il devant le soleil, car Clother de Ponthus se demanda pourquoi, tout à coup, l’obscurité avait envahi la chapelle.
Son regard se fixa sur la rigide figure du chevalier de marbre.
La ressemblance était certaine. L’inévitable suggestion se présentait à l’esprit que le commandeur Ulloa, couché sur cette pierre pour un repos momentané, allait se dresser, descendre de son lit de camp, et, tirant sa formidable épée, commander la charge.
L’âme de Clother luttait contre un inexprimable sentiment où tenait la première place une douloureuse, une amère déception, où il y avait peut-être une sourde et instinctive colère contre l’obstacle qui, soudain, se dressait entre lui et la cassette de fer.
« Seigneur Ulloa, songeait-il, tandis qu’immobile, tout raide, il contemplait la statue du commandeur, seigneur Ulloa, pourquoi avoir choisi ce lieu pour votre repos, ce lieu et
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