Le Roi amoureux
rue Saint-Denis, nous attendrons que le soir nous accorde son ombre propice. Il est inutile d’effaroucher le populaire. Il est dangereux de lui donner en spectacle l’arrestation d’un gentilhomme.
– Mais si, d’ici ce soir…
– Dès ce moment, Ponthus est dans ma main ! coupa froidement le grand prévôt.
Et il frappa du marteau sur la table. Une petite porte s’ouvrit. Un homme parut, s’avança d’un pas rapide et oblique. On eût dit un crabe. Il était petit, maigre, sec, avec une figure insaisissable d’où jaillissait parfois l’éclair du regard. Il était laid et chauve.
– Joli-Frisé, dit Croixmart d’une voix changée, presque affable, as-tu un bon limier sous la main ?
– Monseigneur, il y a le Fossoyeur qui…
– Très bien. Rendez-vous tous deux à l’instant à l’auberge de la Devinière.
– Rue Saint-Denis. Connu.
– Vous trouverez, en face, le logis d’une certaine dame Dimanche. Là demeure un gentilhomme, Clother, sire de Ponthus. Vous le tiendrez en surveillance, en vue de son arrestation qui aura lieu ce soir.
– Le suivre partout où il ira, dit Joli-Frisé, de façon qu’au moment voulu l’un de nous deux vienne rendre compte à Monseigneur du lieu où l’on pourra capturer ce digne gentilhomme.
– Tu es un bon serviteur, Joli-Frisé. Pars sans perdre une minute.
– Cent pistoles à chacun de vous si le digne gentilhomme est pris ! gronda Loraydan.
Avec son allure de crabe rapide, Joli-Frisé disparut en esquissant une grimace de jubilation, pour les mille livres d’abord, et puis parce qu’il adorait ce genre d’expéditions.
Croixmart se leva et dit :
– Vous pouvez aller informer Sa Majesté que, ce soir, le sire de Ponthus sera au Temple. Rien ne pourra empêcher la capture : je serai là.
– Et moi ! dit Loraydan.
À la taverne de l’Hydre.
Bel-Argent achevait d’expliquer la situation à Lurot et Pancrace, et concluait :
– Voilà. Le sire de Ponthus est généreux. Vous serez largement payés. Y a-t-il dans ce Paris de malheur que je ne parviens pas à connaître, y a-t-il une niche, un trou-punais où ce brave chevalier se puisse cacher jusqu’à demain ?
L’homme à la cicatrice hocha la tête et dit :
– Il ne faut pas médire de Paris…
Et l’homme qui n’avait pas froid aux yeux :
– On y trouve de tout, à Paris. Il y a le Louvre, et il y a le Temple… qui diable irait chercher le roi dans son Louvre ? Et qui oserait pénétrer au Temple pour arrêter le maître geôlier ?
Ils étaient, à cause de l’hydromel, dans un état de nonchalance et de bonté et d’indulgence générale.
Bel-Argent le secoua ; d’un ton solennel, il affirma :
– Le coffre du sire de Ponthus, notre coffre, est plein d’or. Ainsi, pas de palabres, hâtez-vous.
– L’aventure m’est bonne comme une pinte d’hydromel, dit Pancrace. Arracher ce bon bougre, bien qu’il ne soit que gentilhomme, aux griffes grand-prévôtales, c’est une aubaine.
– Aubaine, bien qu’il ne soit pas truand, dit Lurot ; mais suraubaine, puisqu’il est cousu d’or. Il faut lui tirer cette épine, ajouta-t-il, sans qu’on pût savoir positivement s’il entendait par là qu’il fallait sauver Ponthus ou le dévaliser.
– Il faut le mettre en lieu sûr, grogna Bel-Argent.
– Il y a, insinua Lurot, Notre-Dame qui est lieu d’asile.
– Adieu ! gronda Bel-Argent, qui assena un coup de poing à la table et se leva.
– Rue de la Hache, se hâta d’assurer Pancrace, il y a le Porc-qui-pique.
– C’est ce que je voulais dire, dit Lurot. Voilà un lieu d’asile, oui. Il n’est trogne de sergent, hure de recors ni museau d’exempt qui s’y ose montrer. Et quant aux mouches, il les tue à cent pas. On dit qu’Alcyndore les occit rien qu’en les regardant.
– À la bonne heure, voilà l’affaire, dit Bel-Argent, en route, et vite.
Le trio empressé quitta aussitôt l’auberge de l’Hydre et gagna la rue Saint-Denis.
XVII
LÉONOR D’ULLOA, SŒUR DE CHRISTA
Ce matin-là, Clother de Ponthus attendait son valet Bel-Argent à qui, la veille, il avait donné congé.
On a vu l’emploi que Bel-Argent avait fait de ce congé.
Le sire de Ponthus voulait donner à son valet ses derniers ordres relatifs à ce voyage qu’il voulait entreprendre jusqu’au pays des Espagnes.
La chose lui apparaissait urgente : c’était le seul moyen de mettre Léonor d’Ulloa à l’abri d’une nouvelle
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